À Paris, avec les producteurs d’œuvres en VR

À Paris, avec les producteurs d’œuvres en VR
©Lucid Realities

Alors que la VR investit de plus en plus les musées à l’international, rencontre avec les producteurs de ces expériences, ces véritables acteurs de l’ombre qui rendent ces nouvelles dynamiques de visite possibles.

Tandis que le Musée d’Orsay met actuellement à l’honneur des toiles impressionnistes issues de la première exposition du mouvement, dans une pièce annexe, l’ancienne gare parisienne invite les plus curieux à se plonger pleinement dans l’ancien atelier de Nadar où, il y a 150 ans, Monet, Renoir et Cézanne tentaient de faire émerger une nouvelle manière de peindre. Produite par Excurio – GEDEON Experiences (en collaboration avec le Musée d’Orsay), Un soir avec les impressionnistes – Paris 1874 propose, durant 1h45, de visiter le Salon, des ateliers d’artistes, les bords de Seine ou l’atelier de Nadar, équipé d’un casque de réalité virtuelle.

Un véritable voyage dans le passé dû à l’usage de la technologie, sur laquelle le Musée d’Orsay semble toujours plus miser depuis quelques expositions. Bonne nouvelle : il est loin d’être le seul ! « Parmi les partenaires institutionnels de VIVE Arts figurent la Biennale de Venise, la Tate Modern, le Musée du Louvre… », énumèrent les équipes de HTC VIVE, producteurs de La Palette de Van Gogh, présenté à Orsay à l’occasion de l’exposition Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Les derniers mois. Pas de doute : la VR gagne bel et bien du terrain du côté des institutions. Mais qu’en est-il de ceux qui permettent à ces expériences d’exister ? Que sait-on de leur mode de fonctionnement ?

La Palette de Van Gogh ©Musée d’Orsay

L’utopie VR ?

Longtemps restés sur le banc de touche, les producteurs VR ont aujourd’hui l’air d’être les atouts numéro un des musées pour tenter d’attirer de nouveaux publics et se réinventer sans rompre avec leurs directions initiales. « Il y a une forte demande de la part du public, qui commence d’ailleurs à être de plus en plus exigeant, dans ses attentes et moins ébloui par la nouveauté seule de la VR. Il y a un vrai appétit, qui touche d’ailleurs plus les grands que les petits », soulignent Gaëlle Mourre et Quentin Darras, co-créateur du projet VR (Hi)story of a Painting, respectivement à la tête de leur société de production, Fat Red Bird et Monkey Frame, et d’une entreprise commune, Pocket Dimension. « Les musées s’y retrouvent en termes d’image, et ce type d’installation leur permet de toucher le public des 15-35 ans qu’ils ont d’habitude du mal à faire venir, explique Chloé Jarry, co-fondatrice de Lucid Realities, lors d’une interview pour le site du CNC. C’est aussi une autre façon de parler des œuvres, plus ludique, tout en restant scientifique. Les musées cherchent également de nouvelles manières de faire de la médiation. Et comme c’est un lieu immersif, il est logique d’y proposer des expériences immersives. »

ChloéJarry
« On sent qu’il y a de plus en plus de lieux qui accueillent la réalité virtuelle dans notre champ culturel et narratif. »

Les musées semblent toujours plus friands de VR, très bien. Mais pourquoi, dans ce cas, les studios VR sont-ils si peu nombreux ? Alors qu’en juin 2023, Emmanuel Macron annonçait fièrement que 200 millions d’euros allaient être alloués aux technologies immersives et au métavers dans le cadre du plan France 2030, qu’en est-il, près d’un an plus tard ? « Du point de vue du financement, c’est différent, martèle le duo Gaëlle Mourre et Quentin Darras. Le marché semble en attente d’un modèle économique fiable, et beaucoup semblent laisser les autres se casser les dents avant de s’engager eux-mêmes. Pourtant, certaines tentatives (comme le musée d’Orsay) ne semblent pas désemplir et les retours sont dithyrambiques !» Un constat partagé par Chloé Jarry, qui développe : « Je pense que la VR en tant qu’outil a de l’avenir. Mais effectivement, on constate que le marché est encore en train de se mettre en place. Ça ne veut pas dire qu’il est là : il est très clair qu’il va falloir encore quelques années. (…) On se situe exactement à un moment où tout est encore à faire, où tout est possible, ce qui pour nous est plutôt source d’espoir. On sent qu’il y a de plus en plus de lieux qui accueillent la réalité virtuelle dans notre champ culturel et narratif. »

Un déploiement techniquement complexe

Si tout est possible sur le papier, le passage à l’exécution, lui, semble plus laborieux. C’est du moins ce que semble penser Gaëlle Mourre, qui ne perd pour autant jamais son optimisme. « La collaboration est souvent délicate, il n’y a pas vraiment de modèle établi que l’on peut suivre, et il faut souvent tout réinventer à chaque fois. La VR reste difficile d’accès, que ce soit la location des casques, trouver et aménager les espaces de démonstration, ou former du personnel à une technologie encore nouvelle pour beaucoup. Chaque exposition a pourtant été une réussite, et les réactions du public sont à chaque fois très positives. C’est d’ailleurs ce qui nous pousse à persévérer dans les moments difficiles ! »

GaëlleMourre
« La VR reste difficile d’accès, que ce soit la location des casques, trouver et aménager les espaces de démonstration, ou former du personnel à une technologie encore nouvelle pour beaucoup. »

Effectivement, proposer des expériences en VR repose sur de nombreux enjeux, à commencer par celui du matériel. Si le prix des casques a énormément baissé, rappelons tout de même qu’avec une moyenne de 300 euros par casque, cela reste un gros investissement pour une institution culturelle qui devra en acheter a minima une centaine afin de promettre des expériences qualitatives, ouvertes à tous. De plus, les producteurs VR doivent s’assurer que ces outils indispensables participent au bon déroulé de l’expérience, et évitent ainsi le fameux « motion sickness », cette sensation de malaise parfois ressentie lors d’une expérience immersive.

Un point extrêmement important à en croire les équipes de HTC VIVE qui rappellent que « VIVE optimise continuellement ses casques pour améliorer le confort et réduire le mal des transports, un aspect crucial pour l’adoption généralisée. » Même son de cloche du côté de Pocket Dimension : « Nos critères sont avant tout des considérations de qualité : il faut que l’expérience soit fluide, et que le visionnage soit agréable, le reste importe peu. » Gaëlle Mourre et Quentin Darras précisent : « Notre projet est distribué sur plusieurs modèles de casques, de plusieurs marques différentes, et on ne ressent pas de fidélité particulier à l’un ou l’autre. (…) (Hi)Story of a Painting a été développée sur un Quest 2, qui reste un des meilleurs compromis prix/qualité, ce qui nous garantissait par défaut une diffusion sans heurt sur les casques plus haut de gamme. Le marché de la VR étant encore très niché, il est important de ne pas se limiter à un fabricant ou à un autre, surtout quand les différences restent aussi marginales ou anecdotiques. »

©Rui Henriques/ Neimënster / Pavillon VR

L’art de la débrouille

Toutes ces réflexions s’ajoutent à celles de l’élaboration d’un film classique ou d’une expérience muséale plus traditionnelle, qui explique que les institutions restent frileuses quant à la mise en place de tels projets. Une réalité dont Gaëlle Mourre et Quentin Darras ont pleinement conscience : « La VR est un marché concurrentiel dans le sens où les opportunités sont encore extrêmement rares. Si on persévère, c’est parce qu’on a toutes les raisons de croire en ce que l’on fait. On croise les doigts en comptant sur la lente acceptation des institutions culturelles pour franchir le pas, et les financements suivront. »

HTCVIVE
« Le secteur de la VR culturelle, bien que compétitif, montre un potentiel de croissance important, attirant un large éventail de visiteurs et validant le potentiel commercial de la VR dans les arts. »

À la fois artistes et producteurs, les deux collègues ont un regard particulièrement aiguisé sur ce qu’implique la réalisation d’un projet en VR. « Produire nous même et monter notre boîte de production était un choix sans en être un… », explique Quentin Darras. Et de détailler : « Au moment où on a commencé, le Covid avait tout paralysé, et le travail se faisait rare. Une amie nous avait parlé d’une bourse qui promouvait les technologies immersives, et Gaëlle venait de finir la réalisation d’un pilote de série VR, Mechanical Souls, qui à été en sélection officielle à Sundance. Avec beaucoup d’optimisme et tout autant de naïveté, on s’est lancé et, contre toute attente, on a fini par décrocher cette bourse. Ensuite, il a immédiatement fallu se mettre au travail, car même si on avait quelques bases, construire un tel projet de A à Z était complètement fou. On n’avait de toute façon ni le temps ni les moyens de trouver d’autres partenaires financiers, et il a fallu se débrouiller avec ce que l’on savait faire et l’aide fournie par le programme Creative XR, auteur de la bourse. »

Être à la fois actif du côté créatif, tenir les cordons de la bourse, pitcher le projet à des institutions et en garantir le bon déroulé… Un travail titanesque qui modifie l’approche du duo quant à ses projets : « Le fait d’être réalisateur et producteur change complètement notre façon de concevoir nos films, et je pense que c’est une bonne chose, se félicite toutefois Gaëlle Mourre. Je trouve que d’avoir conscience de ce que représente un choix artistique, de ce que ça implique au niveau de la faisabilité, du budget et du temps que nous avons, est libérateur. Je fais des choix en connaissance de cause et peut facilement rester flexible face aux imprévus. » De quoi s’aligner en direct avec les exigences et désirs mouvants de musées pour lesquels l’intérêt de la VR ne cesse de croître. « Le secteur de la VR culturelle, bien que compétitif, montre un potentiel de croissance important, attirant un large éventail de visiteurs et validant le potentiel commercial de la VR dans les arts »,  soulignent les équipes de HTC VIVE, appuyant l’idée que, malgré un quotidien fait de débrouilles et de galères, les producteurs VR ont toutes les raisons de continuer à s’accrocher ! 

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