À l’occasion de la première exposition personnelle de l’artiste taïwanaise Shu Lea Cheang au Haus der Kunst de Munich, Fisheye Immersive revient sur la carrière de cette star des nouveaux médias.
Originaire de Taïwan, Shu Lea Cheang s’installe à New-York en 1977, alors âgée de 23 ans, pour suivre un master d’études cinématographiques à la New York University. Un cursus qui lui permet de rejoindre le collectif d’activistes des médias Paper Tiger TV, au sein duquel elle réalise des chroniques-reportages témoignant de la contre-culture de l’époque. Depuis, l’artiste n’a jamais cessé de prendre du galon, enchaînant les récompenses et les expositions. Retour sur une carrière exemplaire, en cinq dates.
1990 : Première exposition au Whitney Museum of American Art
Alors encore jeune plasticienne, Shu Lea Cheang entre par la grande porte dans le monde de l’art en étant exposée sur les murs du Whitney Museum. Le début d’une reconnaissance, qui n’a cessé depuis de s’intensifier, à tel point que certaines de ses œuvres figurent aujourd’hui au sein des collections du Museum of Modern Art (MoMA) de New York.
Parmi elles, il y a notamment la vidéo Color Schemes (1989), qui s’inscrit dans la continuation du travail mené auprès du collectif Paper Tiger TV. Elle y interviewe douze artistes témoignant du racisme subie dans l’industrie du divertissement américain.
1995 : Aux prémices du net.art
Explorant les questions de pouvoir et de désir dans les espaces publics et privés, l’installation cybernétique Bowling Alley relie entre eux trois lieux bien distincts – la galerie 7 du Walker Art Center, le Bryant Lake Bowl de Minneapolis et le site web du bowling – et fait en sorte que chacun interagisse avec l’autre.
En effet, le bowling du Bryant Lake Bowl déclenche des changements dans la chaîne de connexions du site, brouillant la projection du disque laser de la galerie et interférant avec le parcours des utilisateurs des cyberbowlers. Une réaction en chaîne, littéralement, qui permet à Shu Lea Chang de mettre les pieds dans le cyberespace et d’embrasser les possibilités infinies de la culture web. Avant, quatre ans plus tard, avec Brandon, de s’imposer comme une pionnière du net.art.
2000 : Exploration de la sexualité
Le début du millénaire est synonyme de succès pour Shu Lea Cheang, dont le film à l’esthétique inspirée de Blade Runner, I.K.U, est présenté au festival du film de Sundance. Il faut dire que l’œuvre a tout pour plaire au jury d’un évènement traditionnellement porté sur le cinéma d’auteur, l’artiste taïwanaise y racontant l’histoire d’une entreprise japonaise (Genom) sur le point de lancer à Tokyo son dernier modèle d’androïde : Reiko, un robot programmé pour récolter un maximum d’informations sur tous les plaisirs sexuels.
Si tout ne va pas se passer comme prévu – les données de Reiko sont brouillées par le robot d’une société concurrente -, I.K.U est avant tout un prétexte utilisé par Shu Lea Cheang pour explorer la profondeur de la sexualité contemporaine, les questions de genre ou encore la diversité des pratiques érotiques.
2019 : Critique des conditions carcérales
Représentant Taïwan à la Biennale de Venise, l’œuvre 3’3’6′ s’appuie sur l’expérience de l’artiste avec le Web depuis les années 1990. En connectant les réseaux virtuels aux espaces du monde réel, Shu Lea Cheang met ici en lumière les conditions carcérales américaines – le nom de l’oeuvre fait d’ailleurs référence à la surface standardisée d’une cellule. Pour cela, l’artiste s’appuie sur dix études de cas de personnes exclues ou incarcérées en raison de leur genre, de leur orientation sexuelle ou de leurs ethnies. Puissant, et nécessaire !
2025 : Le temps de la rétrospective
En conviant jusqu’au 3 août Shu Lea Cheang à Munich pour sa première exposition personnelle en Allemagne, le Haus der Kunst retourne au point de départ, en utilisant le premier long métrage de l’artiste Fresh Kill (1994), édité à l’époque sur l’un des premiers logiciels de montage, pour construire un parcours chronologique autour de la thématique du déchet. Présentée comme une « machine à expériences », portée par la dernière œuvre vidéo de Shu Lea Cheang (KI$$ KI$$), l’exposition continue d’asseoir l’artiste comme un grand nom des pratiques artistiques transmédias. Et rend hommage à une carrière en constante mutation, riche de mille sous-textes !