Dans le domaine de la création numérique Robert Henke occupe une place de choix, l’artiste allemand s’étant construit une carrière impressionnante, faisant de lui l’un des pionniers des arts numériques. Présentation de quelques-unes de ses créations incontournables.
Au début des années 1990, Robert Henke est déjà une célébrité. Il se fait connaître pour son travail au sein du duo Monolake, formé avec Gerhard Behles. Ensemble, ils deviennent l’un des groupes icônes d’une nouvelle scène agitant les musiques électroniques depuis Berlin, post-chute du mur. Robert Henke devient également l’un des principaux créateurs d’Ableton Live, un logiciel conçu en 1999, considéré comme le standard de la production musicale et qui a complètement redéfini la pratique de l’interprétation de la musique électronique.
En complément de ses deux premières expériences, Robert Henke conçoit depuis vingt ans des lives audiovisuels et des installations présentés dans le monde entier (Tate Modern de Londres, Centre Pompidou à Paris, Palazzo delle Esposizioni à Rome…). Musicien, ingénieur-développeur de logiciels et créateur de live AV, voilà la recette secrète de Robert Henke, décryptée ici à travers cinq œuvres classées en ordre chronologique.
#1 FragileTerritories [2012,2016,2019]
Fragile Territories est une installation imaginée en 2012. Elle utilise quatre lasers, matériau phare de l’artiste, chacun contribuant à une forme visuelle complexe, faite de lignes se chevauchant sur des grilles rigides et d’une peinture de lumière oscillant entre géométrie statique et touches de couleur éphémères. Parfois les formes sont à peine visibles, souvent elles explosent dans une luminosité extrême. Dans certaines séquences, la qualité de la lumière est constante ; à d’autres moments, elle fluctue et se fragmente en particules scintillantes. Des sons – conçus à partir de touches de piano graves et de minuscules bruits mécaniques aigus – remplissent la pièce, tantôt en synchronisation avec les aspects visuels, tantôt simplement en parallèle. Fragile Territories, améliorée en 2016 et 2019, demeure une pièce référence absolument fascinante de par son pouvoir hypnotique.
#2 Lumière [2013,2015,2017]
Lumière est une série de concerts explorant le dialogue artistique entre des lasers de haute précision et des sons percussifs. Ces performances sont construites grâce à un logiciel de graphisme vectoriel que l’artiste développe depuis 2010 – une des marques de fabrique de Robert Henke. En l’occurrence, ce logiciel permet de générer des successions rapides de formes visuelles et d’événements sonores associés, ainsi que de les manipuler en temps réel. Depuis la première performance, dévoilée en 2013, Lumière a subi trois versions différentes. Pour la première, trois lasers à lumière blanche étaient utilisés : le résultat était brut, fort, mais difficile à déployer dans une forme live. La deuxième version était basée sur un logiciel plus puissant avec quatre lasers, dont deux fabriqués sur mesure : ils fournissaient un espace colorimétrique distinct utilisant des diodes laser rouge, jaune et bleue, s’éloignant du caractère austère de la première version. Quant à la dernière version, elle franchit un palier en termes de raffinement dans la composition lumineuse et sonore. Aujourd’hui encore, Lumière reste un projet référence pour de nombreux artistes, musiciens et scénographes.
#3 Destructive Observation Field [2014]
Un puissant laser pointe vers une plaque réfléchissante noire en plastique suspendue au plafond. Dans l’installation Destructive Observation Field, la majeure partie de la lumière est absorbée et transformée en chaleur. Résultat : la surface de la plaque noire se déforme et des ondulations apparaissent, tandis que les changements structurels deviennent visibles sous forme de motifs visuels larges et complexes. Pendant plusieurs jours, le faisceau laser balaye la surface de la plaque en mouvements lents et aléatoires, et laisse des traces de destruction. De leurs côtés, les motifs lumineux sur l’écran de projection deviennent de plus en plus complexes avec le temps.
En ajoutant davantage d’imperfections à la surface de la plaque en plastique, les motifs résultants qui en résultent gagnent en complexité jusqu’à ce qu’un certain seuil soit atteint – après quoi, les résultats visuels deviennent moins intéressants. Destructive Observation Field marque un tournant important dans la recherche des matières et l’usage des lasers chez Robert Henke. L’installation dénote également par son caractère éphémère qui en fait toute sa beauté.
#4 Phosphor [2017]
L’installation Phosphor montre le goût de l’artiste pour des projets à l’intersection de l’art et de la science. Son objectif ? Dévoiler l’invisible d’une manière unique et poétique en utilisant des pigments phosphorescents sensibles à des rayons lasers. Avec cette pièce, Robert Henke crée une géographie de l’éphémère, faite de poussière d’étoiles et de galaxies imaginaires. L’artiste utilise ici seize rayons laser, contrôlés par ordinateur, qui dessinent en temps réel un paysage virtuel sur une fine couche de pigments phosphorescents. Pour donner vie à l’ensemble, un algorithme calcule continuellement la trajectoire des rayons laser en injectant régulièrement des données aléatoires. Par-delà sa technique, cette fresque silencieuse est une éloge à l’éphémère. De l’érosion à la construction, de l’affaissement à l’élévation, ce paysage visuel est en constante évolution.
#5 CBM 8032 AV [2019]
Avec ses pixels verts monochromes projetés sur un écran, la performance CBM 8032 AV semble tout droit sortie des années 80. Et pour cause, Robert Henke base ici ses recherches sur le détournement d’ordinateurs domestiques âgés de 40 ans. Ces cinq CBM 8032 exécutent un logiciel développé sur-mesure. Les graphismes générés sont durs, géométriques ; le son se compose de variations de bruits numériques, d’ondes sinusoïdales profondes, de bips aigus. Ce projet – ambivalence assumée entre une esthétique contemporaine et l’utilisation d’une technologie obsolète – crée en définitive une sensation intemporelle. Et résume, en fin de compte, l’approche de Robert Henke, perpétuellement animé par l’envie de figer le temps.