Présentée au Festival d’automne, à Paris, en 2019, l’œuvre de Lena Herzog fait parler ceux qui se taisent, et se penche sur l’érosion de notre diversité linguistique, dont les subtilités disparaissent peu à peu au profit des langues dominantes.
Chaque semaine, une langue disparaît de la surface du monde. Alors que les spécialistes recensent actuellement 7 000 dialectes perdus, ils estiment que la moitié des langues jadis parlées auront disparues d’ici la fin du siècle. Un constat alarmant qui nourrit la réflexion de l’artiste russo-américaine Lena Herzog. Pas étonnant donc que le Festival d’Automne ait choisi de mettre cette œuvre en avant en 2019, année désignée par l’ONU et l’Unesco pour être « l’Année internationale des langues autochtones ».
Car là où certains entendent un patois, d’autres voient la construction d’une identité, un ancrage culturel et anticipent, avec sa possible disparition, l’extinction d’une partie d’eux-mêmes.
La mélodie des mots
Last Whispers, ce sont les derniers murmures de ces langues vouées à tomber dans l’oubli. Du wanano des peuples indigènes du Brésil et de la Colombie à l’ayoreo des dernières tribus réfugiées dans les forêts du Paraguay, en passant par le bathari d’Oman et le tosu, langue tibéto-birmane du Sichuan, Lena Herzog propose un « oratorio immersif » composé d’enregistrements vocaux historiques de langues éteintes ou en voie d’extinction, ainsi que d’ondes gravitationnelles provoquées par des supernovae rendues audibles.
Sous la houlette de l’artiste, ces mots, récoltés grâce à un travail d’archives mené au sein du programme consacré aux langues menacées de l’École pour les études orientales et africaines (Université de Londres), deviennent musique, et se transforment en une fabuleuse séquence acoustique qui vient rythmer un film d’archives scientifiques en noir et blanc.
Depuis 2019, le dispositif sonore et visuel imaginé par Lena Herzog a fait l’objet de plusieurs adaptations et existe aujourd’hui sous différents formats : projection audio et vidéo entièrement immersive, sphère, dôme, ainsi qu’une installation AV et une expérience de réalité virtuelle (VR). C’est là ce qu’il y a de plus beau avec Last Whispers, cette capacité à rappeler que les œuvres n’ont pas à être figées dans une époque, une forme, qu’elles peuvent constamment se réinventer afin de continuer à illustrer ce qui anime indéniablement chaque artiste : raconter, documenter, montrer.