Fusionner la musique électronique, l’art visuel et la science n’a rien d’un gimmick. Du moins, pas chez Max Cooper, dont les différents albums interrogent les notions d’identité (One Hundred Billion Sparsk, 2018), le désordre de ses pensées moroses (Unspokend Words, 2022) ou les émotions collectives inexprimées (On Being, 2025). Quant à ses lives, ils sont systématiquement pensés comme une expérience audiovisuelle favorisant l’immersion. Un mot que le producteur londonien dit pourtant détester, et en explique ici les raisons.
À regarder tes différents lives 3D/AV, on pourrait penser que tes visuels sont influencés par les théories scientifiques autour de l’espace et du temps. Est-ce le cas avec ton dernier show, lié à On Being, ton nouvel album ?
Max Cooper : Les spectacles 3D/AV couvrent les sujets abordés au cœur de mes différents albums, il y a donc probablement 150 collaborations audiovisuelles différentes couvrant de nombreux thèmes scientifiques, sociétaux et personnels. Emergence, mon tout premier projet visuel (sorti en 2016, ndlr), continue toutefois de définir la structure globale de mes lives. Cet album et le film Atmos racontent comment les lois naturelles et les structures invisibles donnent naissance au monde qui nous entoure, par le biais de processus scientifiques et de phénomènes émergents.
L’univers a commencé par un tas de particules chaudes et a fini par arriver jusqu’à nous, ce qui relève de la science. Sauf que celle-ci n’a rien à voir avec la science aride que l’on apprend à l’école. L’histoire déborde d’idées artistiques et englobe tous les autres projets sur lesquels j’ai travaillé depuis, et que je relie en un même récit pour les lives 3D/AV.
Concrètement, comment crées-tu un live 3D/AV ? De l’idée initiale à sa réalisation, que se passe-t-il ?
Max Cooper : En général, je pars de la narration de chaque album, ce qui donne lieu à des idées visuelles et musicales, puis à des collaborations visuelles – le clip de Palestrina Sicut, par exemple, a été réalisé par Quayola -, à un affinement des mélodies et, enfin, à la génération de contenu. Ensuite, je travaille sur les systèmes de présentation en direct, même si la chronologie de ces différentes étapes est finalement bouleversée à chaque projet. Le terme 3D/AV lui-même se rapporte au fait que j’utilise de multiples surfaces et des couches semi-transparentes pour éloigner le visuel de la scène et pour envelopper le public dans les histoires. Ces derniers temps, j’utilise également des lasers afin de pousser toujours plus loin l’aspect 3D lors des lives shows. L’objectif, en fin de compte, est d’échapper à cette vision de l’artiste tout puissant seul sur sa scène et de faire du spectacle quelque chose dans lequel nous nous trouvons tous, ensemble.
« La plupart des meilleures idées ne sont que partiellement planifiées à l’avance, il faut toujours prévoir une marge de manœuvre pour suivre ce qui fonctionne et chambouler les plans. »
Lorsque tu as réfléchi à la composition de On Being, avais-tu déjà en tête sa traduction visuelle ?
Max Cooper : Non ! Beaucoup de mes albums précédents ont été conçus visuellement dès le départ. Mais cet album a été construit à partir d’une base de données de citations soumises sur mon site web, à la question : « Que voulez-vous exprimer, quelque chose que vous sentez que vous ne pouvez pas exprimer dans la vie de tous les jours ? ». Il s’agit d’une interprétation musicale d’expériences humaines viscérales et d’une conversation à double sens avec les personnes qui se sont engagées dans le processus. L’élément visuel se développera au cours des mois à venir sous forme de réponses à la musique et aux citations.
Pour penser ton nouveau show, as-tu de nouveau travailler avec Kevin et Paraic McGloughin ?
Max Cooper : Oui, bien sûr ! C’est tellement amusant de travailler avec eux, ils sont si libres et enjoués sur le plan artistique, si profonds sur le plan conceptuel et si obsessionnels sur le plan pratique, que chaque projet devient très spécial. Et que l’on a toujours du retard (rires). Notre méthode, en revanche, reste systématiquement la même : faire rebondir les idées, tout ce qui nous intéresse, et envisager la meilleure manière de procéder à partir des thèmes de l’album et des chapitres.
Leur travail visuel a-t-il parfois une influence directe sur ta musique ?
Max Cooper : À l’origine, la musique de « Repetition » (publiée sur « Yearning for the Infinite » en 2019, ndlr) était totalement différente, jusqu’à ce que je reçoive la première version de Kevin et que je me rende compte qu’elle avait besoin d’autre chose. La musique vient généralement en premier, mais c’est une conversation à double sens. La plupart des meilleures idées ne sont que partiellement planifiées à l’avance, il faut toujours prévoir une marge de manœuvre pour suivre ce qui fonctionne et chambouler les plans.
Depuis tes débuts, on a l’impression que tu as toujours été lié à l’art visuel… Est-ce naturel pour toi de te connecter à ces environnements artistiques ?
Max Cooper : Oui, depuis mes premières sorties, j’ai toujours senti que les récits visuels complétaient parfaitement mes morceaux. J’ai toujours été intéressé par les choses extérieures à la musique, autant que par la musique en elle-même. C’est aussi pour cette raison que j’ai créé le label Mesh, précisément dans l’idée d’explorer cette intersection entre la musique, les arts et les sciences.
Pourquoi cette intersection en particulier ?
Max Cooper : J’ai fait de la recherche en biologie informatique et j’ai toujours aimé les formes naturelles. Pas seulement les formes traditionnelles de vie, mais aussi l’esthétique des systèmes qui sous-tendent notre réalité quotidienne. La science est pleine de belles esthétiques comme celles-ci, et je tenais à les explorer. J’ai donc lancé Mesh dans le but de placer la musique à l’intersection des sciences et d’autres formes d’art.
« Depuis mes premières sorties, j’ai toujours senti que les récits visuels complétaient parfaitement mes morceaux. »
N’as-tu jamais envisagé de créer tes propres visuels, ou de t’essayer à ces nouvelles technologies ?
Max Cooper : J’ai toujours fait de l’art visuel d’une manière ou d’une autre, en peignant, en dessinant ou en jouant avec différents appareils photo. Cela dit, je pense que c’est bien de garder ces activités pour le plaisir et de ne pas essayer d’en faire un business. Travailler en tant que musicien professionnel a l’inconvénient de polluer l’expérience d’écoute.
À ce propos, que penses-tu de la popularité du terme « expériences immersives » ? Ces dernières années, on a l’impression qu’il est appliqué à tout ce qui implique plus de deux supports…
Max Cooper : « Immersif » est effectivement un terme à la mode, et je m’efforce de l’éviter autant que possible… Cela dit, il est aussi très vrai : la technologie devient rapidement de plus en plus consommatrice de nos sens d’une manière très réelle. C’est un sujet dont nous devons parler et avec lequel nous devons expérimenter.
À défaut d’utiliser le terme « immersif », recherches-tu une forme d’immersion dans tes lives 3D/AV ?
Max Cooper : Évidemment ! Je recherche une immersion totale, de l’esprit, du corps et de l’âme. Je veux exister à l’intérieur de mes œuvres d’art préférées, être consumé par elles, apprendre et apprécier ces espaces. C’est ce que j’essaie de créer avec mes expériences lives.
« C’est une chose de faire en sorte que quelque chose ait l’air trippant et sonne bien, mais au-delà de ça, quel est l’intérêt ? »
À titre personnel, quelles sont tes attentes lorsque tu fais l’expérience d’une œuvre audiovisuelle ?
Max Cooper : Pour moi, il s’agit de la manière dont une œuvre suscite des émotions et des idées. C’est une chose de faire en sorte que quelque chose ait l’air trippant et sonne bien, mais au-delà de ça, quel est l’intérêt ? Quelle est l’histoire et la connexion entre la forme musicale et visuelle ? Qu’est-ce que cela vous laisse après avoir quitté l’événement ? La musique a souvent accompagné et stimulé le progrès personnel et sociétal. Comment ces nouveaux médias peuvent-ils être utilisés pour un changement et une croissance positifs ? Je ne dirais pas que j’ai atteint ces objectifs avec mon travail, mais ce sont des idéaux qui valent la peine d’être visés, au moins.
On sait que de plus en plus d’artistes ont des difficultés à tourner et que les nouvelles technologies ont un coût que les retombées économiques des concerts ne permettent pas toujours d’envisager. Est-il coûteux d’offrir de tels spectacles en direct ? Combien de personnes sont impliquées ?
Max Cooper : Il est effectivement très difficile de trouver un équilibre entre le coût de création d’un spectacle vivant attrayant et son rendement réel. C’est aussi pour ça que je fais tout moi-même… Je suis au centre de tout, et je suis constamment surpris de ne pas être accompagné d’une équipe pour présenter mes lives 3D/AV, mais c’est ainsi que j’ai dû apprendre à le faire afin de disposer d’un budget suffisant pour payer tous les artistes visuels extraordinaires avec lesquels je collabore pour créer le contenu.
Pour le reste, j’intègre les revenus de mes spectacles dans les budgets de création de contenu. J’ai égalelent mis en place un système pour la musique et les performances visuelles qui me permet d’organiser seul des spectacles de grande envergure, bien que ce ne soit pas nécessairement le cas pour mes spectacles Lattice 3D/AV, où les lasers et les lumières sont également chorégraphiés musicalement.
Au cours des quinze dernières années, les smartphones et les réseaux sociaux sont apparus, et avec eux un phénomène que les musiciens et les artistes de scène regrettent parfois : un nombre croissant de spectateurs passent leur temps à filmer. As-tu adapté ta façon de travailler en conséquence ?
Max Cooper : Je suis heureux de dire que cela ne se produit pas beaucoup lors de mes concerts. Il y a toujours quelques téléphones, mais si tu regardes les photos et les séquences de mes spectacles, tu verras que la plupart des gens s’engagent directement dans l’expérience. Et pour ceux qui sont au téléphone, tant mieux : cela m’offre du contenu à montrer, ça me permet d’être engagé pour un autre spectacle. Il y a un bon équilibre à trouver entre s’amuser et documenter le fait de s’amuser.
Serais-tu expliquer pourquoi si peu de téléphones sont présents lors de tes concerts ?
Max Cooper : Je pense que l’un des facteurs est que je me tiens derrière et à l’intérieur de l’imagerie plutôt que de me mettre au centre de l’attention sur scène. Les gens peuvent essayer de me filmer, mais ils se rendent vite compte que ce qui se passe est autour d’eux, voire sur eux, car je projette beaucoup dans le public également. Il s’agit plus de l’expérience que de moi. C’est l’idée, du moins.
Je ne parle pas non plus au public, je fais rarement de pauses entre les morceaux, et je joue des sets de deux ou trois heures, voire plus…. Il s’agit d’essayer de faire sortir les gens de leur vie quotidienne et de leur rapport à l’écran, de les laisser s’abandonner et de les perdre dans quelque chose de nouveau. Récemment, au début du concert, j’ai vu plus de téléphones apparaître qu’habituellement. Mais au bout de 30 minutes, environ, ceux-ci avaient disparu. On ne voyait plus que la sueur couler sur le visage des spectateurs. C’est le but, et c’est ce dont ce type d’événement semble avoir besoin.