Installé jusqu’au 7 janvier au Fresnoy – Studio national des arts contemporains à Tourcoing, l’exposition Panorama 25 explore le cinéma via différents médiums (courts métrages, installations, documentaires, jeux vidéo), diverses technologies (VR, IA) et rassemble cinquante œuvres inédites à découvrir comme autant de manières de penser le monde.
Dans le noir, faiblement éclairées, des dizaines d’installations sont exposées. Ce sont des regards sur le monde, des récits qui « transcendent la séparation entre la nature et la culture à l’œuvre au sein de nos sociétés occidentales, des productions qui redéfinissent les approches aux oppositions binaires traditionnelles comme celle de l’humain et du non-humain. » Dans l’obscurité, les mots du commissaire d’exposition, Chris Dercon, prennent un sens profond. Ou plutôt, ils incitent à la rêverie, provoquent une longue réflexion quant au rôle d’un musée en 2023 : l’important, finalement, n’est plus de réfléchir uniquement à ce que l’on montre, mais également à la façon dont on expose, à la manière dont il est possible de réinventer l’espace muséal afin d’être en adéquation avec des œuvres émancipées, pensées à l’aide de technologies de pointe ou simplement via des appareils mobiles connectés à Internet.
La part la plus impressionnante de Panorama 25 est là, dans sa volonté de dépasser l’exercice de style – cette fameuse frontière entre réel et virtuel, si questionnée, si exploitée… – pour devenir autre chose : une utopie, un foyer d’accueil où le cinéma se nourrit de différents langages et différentes techniques (3D, VR, XR) sans pour autant basculer dans une course à la prouesse technologique – nécessairement veine.
Ici, les 50 œuvres exposées – toutes inédites – accueillent volontiers l’impure, l’hésitation, les doutes apparus au moment de penser la production ou la monstration d’un projet : Chris Dercon, historien de l’art et directeur de la Fondation Cartier, affirme volontiers que l’ouvrage de Françoise Verges, Programme de désordre absolu : Décoloniser le musée, a bouleversé le mode de réflexion des étudiants.
À la pointe de la création contemporaine
« Au Fresnoy, on nous apprend non seulement à travailler avec les nouvelles technologies, mais également à nous en méfier », confie Hugo Pétigny, dont l’œuvre exposée à l’entrée du bâtiment, en extérieur, parle d’un échec (celui de rejoindre à vélo le plus grand parc éolien de France et de réaliser des photographies à l’aide d’une lumière générée par l’effort physique.) en même temps que de notre difficulté à changer de modèle sociétal.
Une fois à l’intérieur du Fresnoy, cette immense bâtisse où un vaisseau spatial métallique semble s’être posé sur un ancien complexe de divertissement à l’architecture si caractéristique du Nord de la France, d’autres œuvres prolongent le questionnement d’Hugo Pétigny. Mieux, elles se présentent comme autant de manières de penser (le monde, le numérique, le cinéma, les changements climatiques, etc.), selon une approche et des outils trop vastes pour restreindre les artistes au sein d’une même esthétique : ici, se trouvent réunis les travaux d’artistes-explorateurs (sur un bateau pour Julia Borderie & Éloïse Le Gallo, au sommet des montagnes ariégeoises pour Ferdinand Campos), les critiques post-modernes (Skin Routine de Guy Cassiers, The World de Yue Cheng) et les projets s’autogénérant grâce à l’intelligence artificielle (Digitalis de Léa Collet).
Réinventer l’espace muséal
Cette pluralité de propositions émerveille plutôt qu’elle n’intimide au sein d’un parcours qui parie sur une scénographie ouverte, sans imposer de sens de circulation. Dès lors, il convient de revenir à l’essence même du titre de l’exposition, à ce Panorama dessiné en grande majorité par les élèves du Fresnoy, actuels ou anciens. Avec, comme unique contrainte, la nécessité de tout réaliser et imaginer en cinq mois et demi. C’est peu, mais de cette frustration découlent des œuvres réflexives (nourries aux lecteurs d’Alain Damasio, aux films d’Apichatpong Weerasethakul ou aux écrits de Mona Chollet), qui incitent le visiteur à observer, à se mouvoir, à ressentir, à agir et à se demander où il se trouve.
C’est particulièrement le cas avec deux installations, Night Stalker et Le plus ordinaire, le plus illusoire. La première parce qu’elle prend la forme d’un conte architectural, particulièrement immersif, où Sarah-Anaïs Desbenoit raconte métaphoriquement ses deux années au Fresnoy, s’amusant de l’histoire des lieux, mêlant des récits intimes à des fictions cinématographiques. La seconde parce que Jisoo Yoo, passée par l’École nationale supérieure d’Art Paris-Cergy, y envisage la réalité virtuelle d’un point de vue performatif, avec, d’un côté, une chambre où l’artiste d’origine sud-coréenne s’amuse à répéter des habitudes quotidiennes (faire son lit, dormir, etc.) et, de l’autre, une caméra virtuelle filmant ce qui se passe de l’autre côté de cette chambre.
Quelques jours après l’ouverture de l’exposition, d’autres œuvres restent bien évidemment en tête – The Mascot de Fredj Moussa ou Le plus vieux film du monde d’Eléonore Geissler, évoqué plus longuement dans la newsletter #10 de Fisheye Immersive -, mais l’essentiel est peut-être ailleurs. Il est dans l’émerveillement suscité par le travail de ces jeunes d’artistes à l’esprit aventurier, dans la faculté de ces derniers à s’approprier les maux de l’époque (les fakes news, la conservation des données, l’omniprésence des écrans, etc.) ou à détourner les nouveaux modes et formats de production. De Panorama 25, on ne retient donc pas uniquement des installations, des courts métrages ou des déclarations d’amour au cinéma, aussi séduisantes soient-elles, mais bien des idées et des outils que les artistes ont visiblement appris à exploiter sur tous types de supports.