Première grande exposition parisienne dédiée à l’artiste français Miguel Chevalier, PIXELS alterne les formes hypnotiques colorées et les réflexions profondes sur la relation homme-machine. Une réussite !
Il a fait des algorithmes sa peinture, et de l’espace public sa toile. Depuis 1978, Miguel Chevalier utilise l’informatique dans sa création, à laquelle il ne cesse d’offrir plus de dimension, à mesure que la machine elle-même évolue. « Le monde de l’art était extrêmement réticent. À partir du moment où on utilisait un ordinateur, on ne pouvait être qu’un ingénieur ou un technicien, en aucun cas un artiste », a confié le créateur numérique au micro de BFM TV à l’occasion de l’inauguration de sa première grande monographie parisienne, sobrement intitulée PIXELS.
C’est fou à dire, mais oui, en plus de 40 ans de carrière, Miguel Chevalier n’avait encore jamais été la star d’une programmation parisienne, faute d’espace ou de démocratisation. C’est désormais chose faite avec cette carte blanche accordée à l’artiste par le Grand Palais Immersif.
Disney 3.0, vraiment ?
Pensée pour s’étirer sur environ une heure, la déambulation se déploie sur deux niveaux, et s’articule autour de deux thèmes majeurs : la ligne et le pixel. La ligne, comme celle, invisible, qui tisse la toile sur laquelle on surfe tous les jours, celle qui connecte les réseaux entre eux, celle qui rend possible le travail de l’artiste français. Le pixel, comme ce petit point de couleur qui donne vie à l’art numérique tout en devenant de plus en plus discret sur nos écrans. D’ailleurs, l’oeuvre Voxels Light, ici projetée sur un écran vertical géant prolongé sur le sol, se fait la porte-parole de cette discrétion nouvelle : interagissant avec chacun de nos déplacements grâce à une IA générative, l’installation en fait oublier son caractère informatique au profit de l’organique, devenant un terrain de jeu sur lequel les enfants s’amusent, et les adultes s’émerveillent.
« A partir du moment où on utilisait un ordinateur, on ne pouvait être qu’un ingénieur ou un technicien, en aucun cas un artiste. »
Mais, au-delà de l’aspect Disneyland de l’événement, peut-on tirer quelque chose de cette exposition ? La réponse est heureusement oui, tant PIXELS mise sur une double lecture très intelligente. En effet, si certains sauront se satisfaire de l’aspect ludique et des visuels enchanteurs qui se multiplient sur les murs, d’autres tenteront de comprendre ce que cet usage de l’informatique dit de notre société. Car, comme son cher ordinateur, Miguel Chevalier ne cesse de se perfectionner et d’intégrer des technologies toujours plus pointues à sa pratique. Sa nouvelle obsession ? L’IA, qui lui permet de générer des scénarios visuels en temps réel tout en nous alertant sur les changements à venir. L’installation Imaginaires artificiels explore ainsi la question de la surveillance et de la reconnaissance faciale, quand L’oeil de la machine interroge la matérialisation de l’image à l’ère de sa reproductibilité électronique. Oeuvres lumineuses, sculptures en impression 3D et autres vidéos inédites rythment ainsi un parcours immersif et questionnent l’influence de la technologie sur notre manière de percevoir le monde.
Une balade sonore
Soucieux d’amplifier cette sensation d’immersion, Miguel Chevalier a fait appel au compositeur Thomas Roussel afin d’imaginer un projet artistique complet, au sein duquel le son sert l’image, et où l’image sert le son. Le musicien a ainsi conçu deux compositions inédites pour accompagner les oeuvres CyberEspace/Data Landscapes et Maillages cosmiques, devenues sonores sous l’impulsion de cette collaboration. Conçue en 2021, Maillages cosmiques est une installation de réalité virtuelle générative projetée à l’origine sur la façade en pierre de l’Église Saint-Jean-de-Malte d’Aix-en-Provence au son d’une mélodie signée Jacopo Baboni Schilingi. Un videomapping qui prend un tout autre sens entre les murs du Grand Palais Immersif et grâce à l’intervention de Thomas Roussel, dont le travail mélodique change ici l’appréhension de l’œuvre.
À l’évidence, le son tient quoiqu’il en soit une place importante au sein de l’exposition, qui s’inspire du film Her de Spike Jonze en proposant un audioguide disponible à 4,50 euros sur l’application Rewind. La douce voix d’Audrey Fleurot nous guide ainsi à travers les œuvres, propose une médiation privée (ou une immersion sonore, c’est selon !), et rappelle tout du long du parcours de l’exposition à quel point Miguel Chevalier a toujours cultivé l’échange, la mise en réseau de tous ceux qui pourraient venir nourrir sa vision du monde. Ou, comme le souligne l’historienne Laurence Bertrand Dorléac en introduction de la monographie publiée aux éditions Skira en parallèle à PIXELS : « Sa façon même de travailler relève d’une pratique qui renouvelle le cadre étroit de l’atelier et du monde de l’art en faisant communiquer entre eux artistes, architectes, musiciens, graphistes, informaticiens, philosophes, historiens ou collectionneurs […] À cet égard, sa conception généreuse rejoindrait la définition de Jean Nadal d’une machine désirante dont le pouvoir de connexion va à l’infini, en tous sens et dans toutes les directions. »
- PIXELS, de Miguel Chevalier, jusqu’au 06.04.2025, Grand Palais Immersif, Paris