Tout comprendre à TouchDesigner, ce logiciel qui permet de créer en temps réel

Tout comprendre à TouchDesigner, ce logiciel qui permet de créer en temps réel
©TouchDesigner

TouchDesigner est encore peu utilisé des créateur·rices numériques européen·nes. Pourtant son potentiel d’interactivité en temps réel et son ergonomie en font aujourd’hui un outil de référence. Développé par derivative, ce logiciel est utilisé par une communauté d’artistes-codeurs comme Maotik, Nonotak ou WHITEvoid qui développent des performances et des installations immersives. Colin Chibois, spécialiste de TouchDesigner et administrateur de la communauté Discord francophone, nous éclaire sur ses usages créatifs.

En quoi consiste TouchDesigner et pourquoi en êtes-vous adepte ? 

Colin Chibois : Personnellement j’ai découvert TouchDesigner avec le live ISAM d’Amon Tobin en 2012. Ça a été ma plus grande révélation visuelle. Depuis, je travaille avec TouchDesigner. C’est un logiciel de programmation nodale, on y assemble des « boîtes » logiques afin de créer des systèmes complexes, qui peuvent être autant des créations visuelles que du traitement de base de données. Chaque boîte (ou node) a une fonction précise et une retranscription visuelle claire. Concrètement, cela permet d’obtenir un rendu en temps réel, de voir en live ce que l’on fabrique. Le logiciel est complet : il y a des outils pour intégrer de la 2D, de la 3D, pour s’interfacer avec tous les protocoles standards du son et de la lumière, pour créer des passerelles avec des capteurs numériques. TouchDesigner, c’est un environnement de développement où l’on prototype, mais aussi où l’on finalise des productions entièrement tournées vers l’interactivité. C’est un outil qui facilite la vie des créateur·rices.

Quelques cas d’usages peuvent illustrer son potentiel ? 

Colin Chibois : En 2021, j’ai créé 61FPS avec l’ambition d’accompagner des directeur·rices artistiques, des scénographes ou des artistes dans la réalisation de projets numériques hors-normes. TouchDesigner est devenu le logiciel phare pour tous les projets que 61FPS développe. Par exemple, nous avons été missionnés par le Studio Superbien pour une commande du Musée océanographique de Monaco. Nous avons imaginé et conçu un système de tracking des mouvements du public, ainsi qu’une surveillance du système automatisée et gérée à distance. Ce tracking balaye le sol et les murs, soit une surface d’environ 250m² de visuels interactifs. Les datas de tracking sont analysées par Touchdesigner avant d’être envoyées au moteur Unreal Engine qui génère les visuels en temps-réel.. 

On peut tout gérer à distance, et c’est un logiciel particulièrement stable. C’est important car notre installation tourne 7 jours sur 7, 12h par jour. Autre illustration : nous avons développé une expérience pour Dior qui souhaitait une app intégrant la visualisation 3D de ses produits dans des pop-up stores. Le client voulait une expérience immersive permettant de personnaliser leurs produits. Notre app s’interface avec un écran tactile, avec deux écrans 4K, avec des serveurs, avec des modélisations 3D, de nouveaux assorts de produits. Grâce à TouchDesigner, seulement 3 mois ont été nécessaire pour finaliser le projet. C’est un outil parfait pour travailler entre différents interlocuteur·rices et gagner en flexibilité. 

Tout ce vocabulaire peut paraître abscons pour le grand public. TouchDesigner est facile à prendre en main ? 

Colin Chibois : En 15 minutes, on comprend l’interface et, après 1h ou 2h de manipulation, on a déjà des résultats intéressants. J’ai enseigné ce logiciel dans des écoles de design. Des personnes qui ont un usage de la suite ADOBE, qui a une logique très différente, comprennent rapidement l’enchaînement de boîtes. Mon conseil pour débuter : ne pas négliger les premières heures d’apprentissage. Pour cela il y a une ressource en ligne d’une densité incroyable. Sur derivative, par exemple, il  existe une sorte d’e-université : c’est aussi bien conçu pour les enseignants que pour les élèves. Il y existe aussi un autre site qui répertorie tous les tutoriaux, dans toutes les langues. Il y en a plus de 3000… On y trouve des règles à appliquer comme des tips créatifs. 

Quel·les sont les artistes numériques qui travaillent avec TouchDesigner ? 

Colin Chibois : Avec son travail sur la géométrie et l’espace, l’équipe Nonotak studio est une référence internationale. Les berlinois de WHITEvoid (Christopher Bauder) utilisent également TouchDesigner pour réaliser des installations monumentales. J’ai découvert récemment le travail de Tundra : ce sont des artistes russes qui produisent des visuels, notamment un projet à partir d’hélices holographiques. Le résultat est très beau. Maotik est un artiste français qui produit beaucoup d’images plutôt abstraites et des installations interactives à partir de capteurs LiDAR (télédétection par laser, ndlr). Il crée des ambiances très organiques. On a déjà coanimé un workshop ensemble, c’est vraiment un expert de TouchDesigner. Dans la communauté des utilisateur·rices Bertrand de Becque est très actif, notamment via ses recherches sur la stereoscopie. 

Enfin, j’ai envie de vous parler d’un extraterrestre : Simon Alexander Adams. Quotidiennement, depuis près de 2000 jours, il fabrique des images via TouchDesigner et les publie sur Instagram ;  c’est complètement dingue. Son travail est une sorte de carnet de tendance permettant de suivre les évolutions dans la création et les possibilités de TouchDesigner. En suivant l’ordre chronologique de ses publications, on a une sorte d’état des lieux de ces dernières années. 

La communauté d’utilisateur·rices de TouchDesigner est-elle très active ? 

Colin Chibois : En 2012, il y a avait peu d’utilisateur·rices. Au début, c’était un usage centré pour le vjing. Il faut se rappeler qu’il y a une décennie, le Vjing et l’art numérique étaient une activité de niche, avec des capacités techniques encore très limitées. En 2017, derivative a développé une version pour MacOS et il y a eu un regain d’intérêt. En 2020, avec la crise du COVID, beaucoup de gens ont essayé ce logiciel qui avait aussi connu mille évolutions. À partir de ce moment, on a monté avec quelques passionnés un canal Discord pour la communauté francophone. Désormais, il y a quelques centaines d’inscrits. 

C’est un endroit où les utilisateur·rices peuvent échanger, créer un réseau, montrer leur travail. Mon rôle en tant qu’administrateur est d’organiser les thématiques de discussions et d’être actif : on répond à tous les messages. Mon niveau d’expertise me permet de répondre à n’importe quelle demande, que ce soit sur de la veille matériel ou de la pure technique. On organise aussi des challenges créatifs où il faut reproduire des images avec les outils de TouchDesigner. Ce sont des défis qui permettent de rapidement monter en compétences.

Les développeurs du logiciel ont-ils la même réactivité envers la communauté ? 

Colin Chibois : C’est une structure familiale et professionnelle. Les membres de l’équipe de TouchDesigner sont intéressés par la communauté. Il y a toujours quelqu’un pour répondre aux demandes des utilisateur·rices. Ils écoutent beaucoup les suggestions de modification, d’évolution du logiciel. Personnellement j’ai déjà fait des suggestions qui ont été prises en compte. Il y a une version BÊTA accessible à certaines licences. Car oui, il faut bien préciser que TouchDesigner est un logiciel payant. Bien que leur business model me semble fair play : la licence est perpétuelle et donne droit à un an de mise à jour. Il existe aussi une licence gratuite pour les étudiant·es avec la génération de visuels en basse résolution. Moi, je milite pour que TouchDesigner soit démocratisé, ça va démultiplier la créativité dans les arts numériques.

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