Né en 1974, l’Américain s’amuse avec sa dernière série (Evolved Hallucinations) à déformer nos rêves et nos cauchemars dans des œuvres IA qui doivent autant à la peinture abstraite et aux ambiances lynchéennes qu’aux visions troublées de son auteur.
À l’ère des plateformes saturées de « contenus », repérer des œuvres qui méritent que l’on y pose un regard n’a rien d’évident. En novembre dernier, Paris Photo représentait ainsi l’opportunité de sortir du microcosme numérique, d’aller à la rencontre d’artistes visant à créer des dialogues entre le médium photographique et de nouvelles technologies informatiques. Lors de l’événement, un nom a particulièrement retenu notre attention : celui de Trevor Paglen, dont la dernière série, Evolved Hallucinations, réalisée à l’aide d’une IA, donne la mesure de l’intensité poétique d’un travail où les polaroïds, le symbolisme et la métaphore constituent une esthétique fondatrice. « C’est comme de plonger dans le cerveau d’une intelligence artificielle et d’y voir ce qui s’y passe », dira fort à propos notre journaliste, Benoît Gaboriaud.
Troubler le regard
C’est vrai qu’il y a quelque chose de profondément immersif et troublant dans le travail de l’artiste américain, auréolé du prix de la Deutsche Börse Photography Foundation en 2016. Persuadé qu’un « paysan espagnol du Moyen Âge voit une comète d’une manière totalement différente d’un architecte contemporain », ou qu’un « sémioticien du début du XXe siècle peut comprendre les images d’un rêve de manière tout à fait différente d’un neuroscientifique cognitif d’aujourd’hui », Trevor Paglen, 50 ans, travaille notre rapport à ce que l’on voit. Ce qui n’a rien d’une mince affaire au sein d’une époque où l’IA jette le trouble sur chaque photo. Pour Evolved Hallucinations, il a ainsi créé ses propres modèles en se basant sur « un large éventail de visions historiques, culturelles et notionnelles de notre monde », l’idée étant d’utiliser un vocabulaire d’images tiré « de la littérature, de la philosophie, de la poésie, du folklore et des traditions spirituelles ».
Accepter la subjectivité de l’œil humain
Aux côtés de la Fellowship Gallery, qui représente également les non moins intéressants Holly Herndon & Mat Dryhurst, Trevor Paglen ose donc poser ces multiples questions : est-ce possible de construire des modèles d’IA qui acceptent le caractère subjectif de l’œil humain ? À quoi pourrait ressembler le monde à travers les « yeux » de futures algues sur une terre post-humaine ? Quelle serait notre vision du monde si celle-ci résultait d’un être semblable à Cassandre, à même de voir l’avenir mais bien incapable de l’anticiper ou de le transformer ? « La série Evolved Hallucinations est ma réponse partielle à ces diverses questions », conclut-il, fier d’avoir réalisé là un travail puissamment suggestif, du genre à stimuler l’imaginaire autant que la perception.
- Cet article est initialement paru dans le 41e numéro de notre newsletter éditoriale.