À chaque nouveau terme, son lot de questions : qu’entend-on réellement par « i.artiste » ? Peut-on parler d’œuvre lorsque l’on crée à l’aide d’une IA générative ? Est-ce un crime de sauter l’étape de la création d’images ? Tentatives d’explication aux côtés de trois figures de l’IA.art. Pour ce deuxième épisode, rencontre avec Surea.i, qui voit dans cette nouvelle manière de créer une expérience post-humaine en tout point positive.
Fin 2021, après plusieurs années à dessiner, peindre ou coudre de manière occasionnelle, tu décides de t’investir plus nettement dans l’art. L’IA a-t-elle tout de suite occupé une place importante dans ton processus créatif ?
Lorsque j’ai commencé à explorer sérieusement ce que les générateurs de texte-vers-image pouvaient faire, cela s’est présenté comme quelque chose de très puissant. La démarche consistant à donner vie à une vision est difficile lorsque votre vision est floue (surrea.i souffre d’aphantasie, un phénomène réduisant les capacités de visualisation, ndlr). Ce n’était jamais quelque chose que je déplorais, mais je pense que cela a été un frein dans l’art que je pouvais créer. À l’inverse, les modèles de texte-vers-image m’ont permis de contourner cette étape, de peaufiner les compositions, de créer des textures, d’explorer des palettes de couleurs en moins de temps qu’il ne m’aurait fallu pour avoir une nouvelle idée ou une nouvelle direction à explorer. Étant riche en idées et consciente de la contrainte temporelle, je me suis rapidement impliquée dans l’utilisation d’IA comme partie intégrante de mon processus créatif.
Selon toi, quelle est la définition d’un i.artiste ? Ce terme définit-il pleinement ta démarche/ton approche ?
C’est une question difficile. Personnellement, j’ai tout simplement créé un art où l’utilisation de l’intelligence artificielle générative est une partie fondamentale de mon processus créatif. Je ne crée plus d’images à partir de zéro (par le dessin ou la peinture) ; je retouche et combine manuellement des images générées par l’IA. Ce sont des sortes de « directives » ou de « règles » que je me suis fixées, car j’aime créer de l’art de cette façon, finalement similaire à la manière dont les photographes et autres artistes ont commencé à utiliser Photoshop. S’est-on pour autant mis à les considérer comme des « artistes Photoshop » ? Non, tout simplement parce que leur processus créatif ne se limite pas à l’utilisation de ce logiciel.
D’ailleurs, maintenant que la qualité de l’IA générative a progressé jusqu’à être indiscernable du contenu non généré, elle est utilisée par des artistes numériques, voire traditionnels, dans leurs flux de travail existants, que ce soit pour élargir leur gamme, se familiariser avec l’incorporation de nouveaux éléments, générer des dizaines d’images à utiliser comme inspirations ou générer des textures peut-être trop difficiles ou longues à créer manuellement… C’est à se demander si le terme i.artiste est encore pertinent…
De ton côté, comment utilises-tu les IA ? Sont-elles présentes dès les prémices ?
Depuis environ un an, presque toutes les pièces que je publie dans mon portfolio sont le résultat de la composition de dizaines d’images similaires. Toutes ces images sont des variations d’un concept visuel, mais avec des détails différents. C’est peut-être insensé, mais j’ai confiance en ma capacité à sélectionner et à assembler l’image « optimale » parmi toutes ces itérations. C’est un processus qui ressemble beaucoup à l’écriture, non seulement parce que l’on écrit littéralement pour générer les images, mais aussi parce que c’est un processus récursif en termes de révision et d’édition, de développement de nouvelles idées en cours de processus et de perfectionnement de ces dernières. Tout cela pour dire que non, je n’ai aucune idée de ce à quoi une pièce va finalement ressembler lorsque je tape ce premier prompt.
Dernièrement, tu as créé SF, une œuvre qui présente un grand chat blanc et moelleux volant dans le ciel au-dessus du pont du Golden Gate. Peux-tu me dire comment tu as procédé ?
Celle-ci n’est pas particulièrement complexe en termes de composition ou d’édition par rapport à mes travaux précédents. J’ai généré la base de la composition en utilisant une description textuelle qui a été elle-même générée en demandant à une IA générative (Midjourney) de décrire une autre image que j’avais précédemment générée avec une description que j’avais écrite moi-même. J’ai adoré la façon dont l’IA descriptive a interprété l’image initiale, et comment le modèle d’IA visuelle générative a interprété cette description – que j’ai utilisée comme point de départ). Franchement, j’ai été frappée de voir à quel point les deux images étaient différentes… À partir de cette base, j’ai généré quelques autres images avec différents détails, mais en conservant la même idée de composition, c’est-à-dire un chat dans le ciel. Ensuite, j’ai assemblé des éléments de toutes ces images et effectué quelques effets et ajustements de couleur de manière à ce que le visuel corresponde stylistiquement aux pièces les plus récentes de mon portfolio sur Instagram.
Comment vois-tu évoluer ce que l’on pourrait nommer l’IA.art ? Certains pourraient penser qu’il s’agit là d’une tendance, mais toi, vois-tu cela comme les bases d’un nouveau grand courant artistique ?
Je ne veux plus que l’IA.art générative soit quelque chose de spécial ou de nouveau, mais bel et bien une manière normale et courante de créer de l’art. Cela dit, je ne suis pas certaine que nous verrons l’IA.art comme un mouvement à part entière, tout comme nous ne considérons pas l’art réalisé avec des peintures pré-mélangées comme un mouvement en tant que tel. Au mieux, ce sera vu comme un courant sous-jacent à de nombreux mouvements artistiques qui n’existent peut-être pas encore (tout comme l’apparition des peintures pré-mélangées). Aujourd’hui, j’aimerais surtout que ceux qui se considèrent comme des artistes traditionnels cessent de déplorer l’essor ce que qu’ils appellent les « artistes IA ». La vérité est que très peu d’artistes se font remplacés par des i.artistes ; ils se font simplement remplacés par d’autres artistes qui ont enrichi leurs compétences avec des outils d’IA générative.