Riche d’une des plus importantes collections d’art médiatique au monde, le ZKM dévoile The Story That Never Ends, une histoire fascinante qui retrace, à l’aide de pièces majeures et ludiques issues de ses collections, la manière dont les artistes se sont emparés des nouvelles technologies depuis les années 1950.
« Pour moi, ça a été un crève-cœur d’apprendre que les œuvres d’Edmond Couchot allaient entrer dans les collections du ZKM, à Karlsruhe, en Allemagne, alors qu’il est un des pionniers de l’art numérique français », avoue Morgan Stricot, responsable de la conservation numérique au ZKM. Des exemples de ce type, le musée en compte par centaines. Partout dans le monde, les héritiers souhaitent que les œuvres électroniques ou numériques de leur famille puissent être prises en charge par une institution capable de les conserver, et qui mieux que le ZKM pour accomplir une telle mission ?
Depuis sa création en 1989, l’institution interdisciplinaire de recherche artistique et scientifique s’est dotée d’une infrastructure et s’est constituée une équipe, spécifiquement dédiées. En 2017, elle a également ouvert officiellement son laboratoire de restauration d’œuvres numériques. Pas étonnant, dès lors, d’apprendre qu’elle renferme aujourd’hui la plus grande collection d’art médiatique au monde, soit un total de 12 000 œuvres.
Embrasser la grande histoire du numérique
Au sein de cette riche et dense collection, mille œuvres sont purement médiatiques et une centaine, soit la partie visible de l’iceberg, sont présentées au sein de cette ancienne manufacture de munitions classée monument historique, le temps de l’exposition The Story That Never Ends (L’histoire sans fin). Pour ce faire, les commissaires ont jeté leur dévolu sur des œuvres récemment acquises ou des œuvres anciennes, mais fraîchement restaurées, qui dans les deux cas n’ont jamais été montrées ici – et très peu ailleurs. Le parcours thématique raconte différentes histoires entrelacées de l’art et de la technologie, à l’aide d’œuvres vidéo, sonores et lumineuses, d’objets cinétiques et d’installations interactives assistées par ordinateur, parfois ludiques, souvent fascinantes. Allant de 1950 à nos jours, le récit est chapitré en cinq parties distinctes : « Body Images », « Computer and Art: Digital Visions », « System and Movement », « The Art of Signals » et « Criticism and Utopia ».
Ainsi, l’exposition ne fait l’impasse sur aucun thème majeur et retrace l’évolution de l’art cinétique et de l’OP Art, de leur émergence à aujourd’hui, mais aussi celle des premières images algorithmiques, pour mieux se conclure par les images développées ces dernières années en collaboration avec l’IA. Aussi, The Story That Never Ends explore autant la manière dont le corps a imprégné les œuvres du 20e siècle que les mécanismes des médias de masse. Enfin, elle montre comment les artistes numériques questionnent les structures de pouvoir, formulent des récits alternatifs et développent de nouvelles perspectives sur les défis sociaux et écologiques.
Une collection d’œuvres pionnières
Le parcours ne manque pas de pertinence et est à la hauteur des œuvres présentées, dont plusieurs ont particulièrement retenu notre attention. En premier lieu, celle toute simple de Manfred Mohr dans laquelle ce pionnier allemand interrogeait le public lors de la toute première exposition dédiée aux arts numériques en France, au MAM, en 1971, soit trois ans après Cybernetic Serendipity à Londres : « Que pensez-vous de la recherche esthétique faite à l’aide d’un ordinateur ? ». Sur ce tableau, les réponses sont mitigées et font écho au discours actuel sur l’IA.
Le duo d’artistes franco-autrichien Laurent Mignonneau et Christa Sommerer y présente Nonoscape (2002-2003), une installation haptique explorant par le toucher le monde caché des nanoparticules. En dépôt depuis 2007, elle peut enfin, grâce aux restaurateurs du ZKM et aux artistes, être à nouveau expérimentée par le public, qui est ici particulièrement sollicité. Beaucoup d’installations présentées ici nécessitent en effet une interaction avec le visiteur, lequel est parfois même pleinement intégré au cœur de l’expérience. À l’image de Captured (2019-2020), une œuvre immersive à travers laquelle l’artiste Hanna Haaslahti invite à scanner son visage pour pénétrer dans un monde virtuel et y vivre la manière dont la violence est perpétrée et perçue au sein d’une dynamique de groupe. Un choc ! On s’y découvre tour à tour victime et bourreau.
Fin de l’histoire ?
À nouveau, le visiteur peut se sentir mal à l’aise face à Yuppie Ghetto With Watchdog (1989-1990). Dans cette installation vidéo interactive, l’Américain Paul Garrin empêche le spectateur d’accéder à « une party » privée un brin kitch. Quand il s’en approche, il déclenche la hargne d’un chien particulièrement repoussant. Créée en 1989, à une époque où le « visual tracking » n’existait pas, l’œuvre innovante repose sur une technologie analogique et sur la détection de pixels.
Justine Emard, Rebecca Horn, JODI, Julio Le Parc, John Lennon, Francesco Mariotti, Vera Molnár, Nam June Paik, Jesús Rafael Soto, Victor Vasarely, Bill Viola, Yvaral… Le casting transgénérationnel de The Story That Never Ends, réunissant des personnalités de nationalités différentes, témoigne à lui seul de la richesse et de la densité de l’exposition. Et illustre in fine les nombreux séismes artistiques provoqués tout autour de la planète par les émergences successives des différentes nouvelles technologies au cours de l’histoire contemporaine.
- The Story That Never Ends, jusqu’au 20.09.2025, ZKM, Karlsruhe, Allemagne.