Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive célèbre ce que l’art vidéo compte de plus audacieux. Mechanical Kurds, la dernière installation filmique de l’indispensable Hito Steyerl en est la preuve. On vous explique pourquoi.
Présentée lors de l’exposition Le monde selon l’IA au Jeu de Paume, à Paris, la nouvelle installation vidéo de l’artiste et théoricienne allemande Hito Steyerl frappe d’emblée par son ambition : proposer une réflexion sur les enjeux sociaux et politiques inhérents à l’utilisation de l’IA. À la manière d’une enquête documentaire sur les « travailleurs du clic » opérant depuis des camps de réfugiés au Kurdistan, Mechanical Kurds trouve sa pleine puissance lorsque les images sont au plus près du réel, lorsqu’elles mettent la lumière sur la manière dont l’IA peut être instrumentalisée dans des zones de conflit, notamment au Moyen-Orient.
Travailleurs du clic, soldats et robots
Si cette triste réalité a inspiré à Hito Steyerl le titre de son œuvre (Mechanical Kurds, donc), celui-ci est également un jeu de mot avec la plateforme en ligne de micro travail externalisé, Amazon Mechanical Turk. D’où, finalement, l’association d’images tournées au sein de la ville kurde de Cizre – marquée par les conflits entre le Parti des travailleurs du Kurdistan et le gouvernement turc – et d’éléments rappelant la robotique et l’automatisation du travail. S’appuyant sur cette superposition d’informations, Hito Steyerl en profite pour évoquer la figure d’Ismail al-Jazari, érudit du XIIIe siècle, originaire de cette région célèbre pour ses travaux sur les dispositifs mécaniques. Un moyen d’établir un lien entre l’histoire de l’ingénierie, les technologies contemporaines et la politique complexe de la région ? Aucun doute là-dessus !
C’est que Mechanical Kurds est avant tout une critique géopolitique, le regard acerbe d’une artiste sur la guerre automatisée. À travers une esthétique industrielle dépouillée (écrans suspendus, structures métalliques, éclairage clinique), Hito Steyerl nous plonge ici dans la froideur du monde actuel, entre technologie et manque de considération pour la vie humaine. Jusqu’au-boutiste, elle intègre aussi des dialogues avec des assistants vocaux comme Siri, précisément dans le but de questionner la manière dont l’IA est intégrée dans les stratégies militaires modernes, d’accentuer le contraste entre la standardisation des réponses générées automatiquement et la violence des conflits sur le terrain. Une dualité évidemment choquante, mais dont les deux parties peuvent finalement être rapprochées via un même concept : celui de la déshumanisation.