Création d’un laboratoire autour de l’IA créative à la Sorbonne, participation à la Biennale Némo, acteurs incontournables de la communauté NFT internationale, il serait vraiment difficile d’ignorer les activités du collectif Obvious. Soit Gauthier Vernier, Pierre Fautrel et Hugo Caselles-Dupré, trois amis d’enfance, pionniers – presque – malgré eux de l’art génératif via l’intelligence artificielle depuis cette vente record (432.500 dollars) d’une œuvre générée par une IA chez Christie’s en 2018. Rencontre.
Obvious, c’est l’aventure de trois copains, parmi lesquels un doctorant post-doc en intelligence artificielle, Hugo Caselles-Dupré, désormais officiellement chercheur dans ce domaine. Les deux autres, de formation écoles de commerce, entreprenariat et en économie, sont plutôt amateurs d’art, mais n’entretiennent pas vraiment de relation avec le milieu de la tech, ni avec celui des galeries. En 2017, alors qu’ils sont tous étudiants et partagent une colocation, ils décident toutefois de se lancer dans un projet artistique réunissant intelligence artificielle et création artistique.
« Faire de l’art en utilisant les compétences d’Hugo dans le domaine de l’IA nous a semblé tout naturel après qu’il nous ait présenté un article de recherche sur la génération d’images. Nous étions fascinés par les possibilités que semblaient offrir ces technologies », précise d’emblée Gauthier Vernier. Ce qui, fatalement, donne envie de prolonger l’échange.
L’union de l’art et de la technologie semble naturelle pour vous, mais ne tombait finalement pas sous le sens en 2017…
Gauthier Vernier : C’est peut-être cette candeur qui nous a permis d’oser aller dans cette direction en créant Obvious, sans se poser trop de questions. Nous nous intéressons à l’art, mais nous ne connaissions rien au milieu et à son fonctionnement. Ce qui était évident, en revanche, c’est que nous avions entre les mains un outil à l’incroyable potentiel créatif. Via Hugo, nous connaissions depuis au moins quatre ans cet algorithme, très populaire dans le milieu de la recherche mais cantonné aux travaux de laboratoires. Nous étions étonnés d’être les premiers à envisager de l’utiliser comme nous l’avons fait ! Il était pourtant certain que cette technologie allait avoir un énorme impact sur la société – et l’on peut s’en rendre compte à présent, tant son usage déclenche débats et polémiques.
Cet outil dont tu parles, s’agit-il des fameux GAN, pour Generative Adversarial Network, le réseau de neurones antagonistes ?
Gauthier Vernier : Tout à fait ! Les GAN sont les ancêtres de tous les algorithmes de génération d’images qu’utilisent des plateformes telles que Midjourney ou Stable Diffusion. Le principe était d’utiliser ces programmes afin de créer des images nouvelles avec un très grand nombre d’images sources. C’est ce que l’on a utilisé pour faire notre première série de portraits, issus eux-mêmes de 15 000 œuvres que l’on a fait analyser à l’algorithme afin de lui apprendre à créer lui-même. Ce qui est intéressant dans le fonctionnement des IA par aller et retour (antagonistes, NDR), c’est que l’on voyait apparaître en 2017 une certaine forme d’inventivité dans les résultats proposés. Très tôt, s’est donc posée la question du statut de l’artiste, de l’originalité d’une œuvre, du droit d’auteur et tous les débats que nous voyons apparaître aujourd’hui avec les nouveaux algorithmes text to image ou text to video.
Comment de jeunes amateurs d’art inconnus réussissent-ils à entrer dans un réseau de vente aux enchères internationales comme Christie’s ?
Gauthier Vernier : Par chance ! Nous avions créé une première œuvre, le Portrait d’Edmond de Belamy. À la différence des créations NFT il s’agissait d’une œuvre physique et nous avons donc cherché des endroits où l’exposer à Paris. L’idée était de la présenter à l’école 42 puisqu’elle accueille Art 42, une collection d’art urbain appartenant à Nicolas Laugero Lasserre (directeur de l’école du management de l’art ICART et fondateur de l’association Artistik Rezo, NDR). Cette personne était intéressée par notre travail et nous a fait part de son envie d’acheter une de nos œuvres.
Cet achat a généré pas mal de buzz dans la presse alors que, parallèlement, se déroulait à New York un séminaire international organisé par Christie’s sur la blockchain et le NFT. Au même moment, nous sortions nos premiers NFT sur une plateforme nommée SuperRare qui participait à l’évènement. Les responsables de Christie’s ont apprécié le fait que nous produisions des œuvres physiques et ont demandé à nous rencontrer. La suite appartient à l’histoire puisqu’elle a vendu le Portrait d’Edmond de Belamy 432 500$.
Aujourd’hui vous lancez votre « Laboratoire » à la Sorbonne au sein de l’Amphithéâtre Liard aux côtés du docteur en sciences informatiques Matthieu Cord. Comment et pourquoi vous êtes-vous investis dans ce projet ?
Gauthier Vernier : Nous sommes très proches de la recherche grâce à Hugo qui publie des articles à ce propos dans des revues scientifiques et côtoie des chercheurs de haut niveau. Au sein du collectif, nous cultivons cet ADN de R&D continu. Pour nous, il est important de participer à notre manière au développement de la science tout en proposant une évolution de la création artistique. Nous sommes animés par cette croyance que l’art et la science sont étroitement liés, qu’à chaque découverte technologique de nouvelles disciplines artistiques apparaissent et que le développement de la science peut aussi être inspiré par l’imaginaire des artistes. Ce n’est évidemment pas nouveau, ce sont des idées qui datent de la Renaissance. C’est ce que nous avons dit à Matthieu Cord qui est un chercheur, mais également grand amateur d’art. Ensemble nous avons monté un dossier que nous avons porté à l’ANR (Agence Nationale de Recherche) qui a accepté de financer le projet de laboratoire sur ces questions d’IA et de création, le « Laboratoire Obvious Research ».
« Pour nous, il est important de participer à notre manière au développement de la science tout en proposant une évolution de la création artistique. »
Quels rapports entretenez-vous avec l’écosystème de la création numérique ?
Gauthier Vernier : Nous sommes proches des artistes numériques par plusieurs biais. Nous sommes co-fondateurs de la NFT Factory, nous sommes donc extrêmement connectés avec les artistes français de l’IA et du NFT. Nous sommes également hébergés par Danysz Gallery, qui est un lieu orienté street art mais très intéressée par l’innovation en art. C’est en particulier grâce à cette galerie que nous participons actuellement à la Biennale Némo qui se tient au CENTQUATRE-PARIS. Nous baignons aussi dans la communauté des IA artistes. C’est un petit milieu où l’on surveille tout ce que font les uns et les autres, et qui a un fort ressort médiatique à travers le monde.
À ce propos, que penses-tu de la réception médiatique de la vente de votre Portrait d’Edmond de Belamy chez Christie’s en 2018 ?
Gauthier Vernier : La réception a été polarisée et tranchée. On peut dire que cela nous a déstabilisés au départ. Nous ne nous attendions pas à ce que l’opinion publique s’en empare aussi rapidement, et surtout de façon aussi radicale. Pour autant, cela a également généré des débats intéressants qui mettent en avant une approche différente de l’union entre l’intelligence artificielle et l’art.
Plus généralement, que penses-tu de la façon dont les médias traitent de la question de la création à l’aide d’intelligence artificielle ?
Gauthier Vernier : Au début de la médiatisation de ce sujet, il y a eu beaucoup de malentendus. De nombreux articles ont été écrits en récupérant des informations de seconde main dans des papiers mal informés, ou biaisés. Aujourd’hui, on peut mettre les mains sur ces outils grâce à des plateformes que tout le monde connaît, comme Midjourney, Stable Diffusion ou DALL-E, les trois grands modèles d’IA génératrices d’images. Les gens commencent à comprendre de quoi il s’agit réellement et les journalistes sont mieux informés. Le débat est donc plus sain. En tant que collectif, nous sommes heureux que ce débat ait lieu. D’une manière ou d’une autre, il est important de pouvoir en parler.
« Ce qui nous intéresse, c’est de travailler sur de nouvelles manières de créer, pas dans un but d’optimisation, de perfection, comme c’est souvent le cas avec l’IA, mais d’aller dans le sens de l’artistique. »
Quelles sont vos ambitions avec le « Laboratoire Obvious Research » ?
Gauthier Vernier : Nous allons développer deux axes de recherches. Le premier à propos d’un programme de text to video, et le second de mind to image, c’est-à-dire de génération d’images à partir d’ondes cérébrales. Ce qui nous intéresse, c’est de travailler sur de nouvelles manières de créer, pas dans un but d’optimisation, de perfection, comme c’est souvent le cas avec l’IA, mais d’aller dans le sens de l’artistique, avec un concept fort derrière. Nous avons d’autres idées qui permettraient de répondre aux différents challenges que nous rencontrons quotidiennement quand nous créons avec des algorithmes. Avec ce laboratoire, et grâce à la Sorbonne, nous aurons les moyens de les développer.
Si l’IA n’existait pas ou n’était pas effective, vers quoi vous seriez-vous dirigés en tant qu’artistes ou qu’individus ?
Gauthier Vernier : Je pense que nous serions sur d’autres formats. Certainement plus conceptuels. Nous n’avons pas de vraies formations artistiques, mais nous avons une appétence pour l’expression artistique et la culture en général, donc nous nous serions certainement penchés sur l’écriture, la création de jeux, le game design, peut-être même l’élaboration de films ou de séries.