Dirigé, fondé et porté par des femmes, le studio de design 3D Dada Projects prouve que dans les domaines créatifs comme ailleurs, il n’y a pas de « sexe faible ».
Mais où diable sont les femmes lorsqu’il s’agit d’évoquer les technologies CGI ?! C’est visiblement la question que s’est posée Christina Worner, ancienne motion designer 3D indépendante, lorsqu’elle a fondé Dada Projects en 2021. Comblant l’absence d’équipes féminines dans ce milieu particulièrement masculin, le studio londonien est d’emblée pensé comme un tremplin pour tous les brillants esprits créatifs à qui l’on a fermé les portes en raison de leur genre. Inclusif, solidaire et diversifié, le « projet Dada » est, selon les mots de la créatrice, une « plateforme pour inciter davantage de femmes à se lancer dans la 3D et à collaborer avec nous dans un environnement détendu, convivial, diversifié et bienveillant ». Une plateforme qui, au passage, compte bien secouer le petit monde partiarcal du web.
« Female is future »
Diplômée d’un Master en communication visuelle au Royal College of Art de Londres, Christina Worner s’est rapidement lancée en tant qu’artiste 3D freelance. Très vite, la solitude s’impose. « Il y avait un manque flagrant de femmes travaillant dans le domaine de la 3D, de l’infographie et des effets visuels, notamment au niveau de la réalisation, confiait-t-elle dans le cadre de l’édition 2022 Forward Festival, dont elle était l’invitée d’honneur, L’envie de changer et de remettre en question cette norme s’est accrue à chaque projet. Avec le temps, j’ai su que je voulais participer à un changement dans l’industrie. Il n’y avait tout simplement pas assez de femmes dans ce domaine. »
« Il n’y avait tout simplement pas assez de femmes dans ce domaine. »
Bien en place, le boys club du numérique oblige les femmes à se faire discrètes, voire à déserter. Ou, si l’on est suffisamment tenace comme Christina, à créer un environnement sain et encourageant où les femmes peuvent à la fois se sentir libre d’être créatives, et être valorisées pour leurs qualités professionnelles. « En tant que freelance, j’ai travaillé dans de nombreuses équipes majoritairement masculines, et il y règne une mentalité de « copains » sous-jacente (ou d’appartenance à un « boys club »), ce qui est très difficile car cela crée une distance au sein de l’équipe et je me suis souvent sentie à l’écart. Je pense que nous pouvons œuvrer pour plus d’inclusion et comprendre les déséquilibres, cela réduira évidemment les disparités auxquelles nous sommes confrontés. »
Prôner l’inclusivité
C’est un fait : dans les métiers du numérique, plus qu’ailleurs, les femmes ne sont définitivement pas les bienvenues. D’après une étude récente, elles ne représenteraient que 24 % des emplois du web. Pourtant, elles sont à 70% plus diplômées que leurs homologues masculins. Se passer de talents par pur sexisme ? Très peu pour Christina Worner, qui estime que la discrimination s’effectue dès la formation. « Les universités et les institutions pourraient gagner à transférer la responsabilité aux conseils d’administration et aux dirigeants qui œuvrent en faveur de plus de diversité et d’inclusion, explique-t-elle. Il est absolument nécessaire de faire appel à des conférencières et des professionnelles femmes/non binaires actives dans le secteur pour encadrer, donner des cours et enseigner aux étudiantes, et même les encourager à créer leurs propres cabinets dirigés par des femmes. Il est important de noter que je ne préconise pas un travail « exclusif » aux femmes, mais à tout le moins, nous devons voir davantage de femmes occuper des postes de direction. Nous avons besoin de plus de diversité à la tête de notre secteur pour inspirer un changement plus large. » Attention, toutefois : plus d’inclusivité, oui. Mais jamais au détriment de la qualité.
Avoir un impact créatif
C’est qu’en plus d’être une plateforme reconnue pour ses positionnements affirmés, Data Projects est surtout un studio de design 3D respecté, insufflant de l’art à des rendus CGI d’une netteté sans pareille. Il s’agit aussi pour l’équipe britannique d’offrir une dimension humaniste à la création numérique, et donc de donner une certaine texture au geste artistique, qu’elle soit métaphorique ou littérale. Après tout, les images de synthèses ne peuvent-elles pas nous permettre de questionner notre monde et ses biais ? « Il est essentiel d’évaluer et de discuter de l’impact créatif que nous pouvons avoir, confie Christina Worner lors d’un entretien accordé à la journaliste Jynann Ong, Nous sommes bien moins intéressés par la reproduction fidèle du cahier des charges du client que par l’apport de notre propre perspective. »
« Nous avons besoin de plus de diversité à la tête de notre secteur pour inspirer un changement plus large. »
Une perspective qui se traduit par des visuels organiques en mouvement et des projets toujours savamment sélectionnés. L’un des derniers en date ? Une collaboration effectuée avec Google DeepMind afin de vulgariser le jargon de l’intelligence artificielle, tout en sensibilisant les publics à son usage pour mieux appréhender différents écosystèmes. « Compte tenu de la rapidité avec laquelle nous sommes confrontés à l’innovation, il sera toujours nécessaire de visualiser et de communiquer ces concepts », explique Alice Shaughnessy, l’une des collaboratrices de Dada Projects. Jamais purement esthétiques, leurs travaux s’inscrivent dans un ensemble de grandes questions actuelles, de l’expansion de l’IA à la notion d’homme-machine en passant par le changement climatique, considérant qu’il est de leur responsabilité d’« envisager des futurs possibles, nous poussant à créer des œuvres connectées à la fois à notre présent et à l’avenir ».
Beauté numérique
Pour permettre aux différents publics de visualiser ces nombreux concepts, les équipes de Christina Worner misent sur des environnements 3D quasi-palpables, presque vivants. « Lorsque nous créons des environnements 3D, il est crucial de réfléchir à la quantité de texture, au sens propre comme au sens figuré, que nous devons intégrer pour que notre travail reste cohérent », croit savoir la fondatrice, qui ne tient surtout pas à répliquer le monde physique au sein de l’espace virtuel, bien que ce dernier soit sa principale source d’inspiration. Comme elle le confiait lors du Forward Festival : « Je peux trouver des idées en faisant des randonnées et des courses en nature. C’est d’ailleurs mon activité préférée pour stimuler ma créativité. J’ai presque envie d’une oasis numérique, ce qui explique peut-être pourquoi nous aimons créer des environnements verdoyants et luxuriants, s’amuse-t-elle. Dans ma pratique artistique, j’ai toujours cherché à combler le fossé entre la matérialité numérique et le réel numérique, en explorant les sens et les préoccupations du toucher. Où se situe la frontière entre une surface numérique qui devient si réelle qu’on a presque l’impression de pouvoir la toucher ? Comment utiliser les matériaux pour évoquer une sensation tactile presque réaliste ? »
Brouiller les pistes, les filles de Dada Projects adorent ça. Ni vraiment réels, ni 100% virtuels, leurs visuels incarnent tout ce que la 3D comporte de beauté : une déformation onirique du monde physique, un instant de magie reliant deux pôles que l’on oppose constamment. Et Christina Worner de conclure sur une touche philosophique : « Nous recherchons souvent ces moments de réalisme magique et la fascination du spectateur pour l’impossibilité de la physique ou de la beauté, source de connexions émotionnelles ».