L’artiste israélien Dor Zlekha Levy, 33 ans, explore à travers ses installations audiovisuelles ce qu’ont en commun les différentes communautés d’Israël. Une ode au vivre ensemble ? Affirmatif !
Dor Zlekha Levy a grandi dans les années 1990, bercé par les récits d’un grand-père ayant fait partie des 120 000 Juifs arabophones qui ont dû fuir l’Irak dans les années 1950. « Ma famille est née dans des pays où ils ne peuvent plus se rendre », explique-t-il, dans un mélange de déception et de fierté. La fierté d’avoir grandi au sein d’un environnement porté sur l’art, la musique et le cinéma arabe. La fierté d’avoir découvert en 2008 la ville de Cordoba, une cité médiévale où juifs et musulmans ont cohabité pendant des années. La fierté, enfin, d’y avoir eu une révélation : faire de l’art qui réunit et favorise l’échange culturel. Il a alors 18 ans, et pose les bases de ce qu’il développe maintenant depuis sept ans : des installations immersives où tous les sens – et les deux cultures – cohabitent.
La physicalité du son
À l’entendre aujourd’hui, Dor Zlekha Levy aurait tout de suite vu dans l’immersion un langage artistique adapté à ses ambitions : « Lorsque je crée, cette notion arrive dès les premiers instants. Avec, en tête, cette question : Comment puis-je m’immerger et participer à cette œuvre ? ». Passionné de dessin et de peinture depuis l’enfance, l’Israélien, curieux de tout, réalise très vite le potentiel immersif du son : « La physicalité du son me fascine, il peut sortir de nos corps (ou pas), pour échouer sur les murs ou sur nos peaux ». Rien ne serait donc plus physique que le son ? À l’évidence, oui : « Lorsque vous avez une expérience musicale qui vous émeut, vous le ressentez littéralement dans vos tripes. Vous vous sentez vibrer ». Pour preuve, Dor Zlekha Levy cite son installation baptisée Maqamat qui, en 2017, mêlait les sons et les images dans un espace du Musée d’Art de Tel Aviv.
Six ans plus tard, il s’agit toujours pour lui de créer une connexion entre les deux arts. « Je travaille en ce moment sur des installations prenant vie dans des lieux historiques, perdus parfois au beau milieu de la nature. Pour arriver sur les lieux, c’est une expérience en soi. À Beit Guvrin, là où est l’installation One Tongue, par exemple, il n’y a pas de réseau téléphonique. Selon moi, c’est une façon d’engager le spectateur à vivre l’expérience pleinement ».
One Tongue est effectivement une installation audiovisuelle qui se déploie dans les grottes du Parc national de Beit Guvrin, en Israël, et fait appel à presque tous nos sens : toucher, ouïe, vue, et même odorat. Ce que l’on y entend ? Une chanson écrite par l’artiste en ancien sémite, pensée pour « chanter à vos oreilles » et heurter les murs de la grotte en quatre voix. Le chœur – composé de représentants de différentes communautés – est accompagné par des projections vidéo mettant en scène la bouche des chanteurs, ainsi que des représentations graphiques et évocatrices des mots chantés. « Mes visuels sont musicaux, et vice versa », résume-t-il, simplement.
De l’art qui rassemble
Si l’ensemble constitue une expérience multisensorielle, oscillant entre passé, présent et futur, c’est aussi parce que les œuvres de Dor Zlekha Levy sont avant tout utopiques ; elles enjoignent à un vivre-ensemble, désignent ce qui nous est commun. Dans le cas du conflit entre Juifs et Arabes, selon l’artiste, ce serait d’abord « cette langue proto-sémite si familière aux deux peuples ». Quant au lieu dans lequel se joue l’installation, celui-ci se veut tout autant chargé en symboles communs : « À chaque fois, ces lieux historiques sont des espaces de mémoire pour les deux cultures ».
Parmi les dernières installations de Dor Zlekha Levy, il y aussi Reflection, qui s’expérimente sur une barque dans le bassin historique des Arches de Ramla. Ce réservoir médiéval a une histoire de 1200 ans et est situé dans une ville multiculturelle, en proie l’année dernière à des émeutes entre communautés. Pourtant, là, dans ce bassin souterrain, l’œuvre-expérience de Dor Zlekha Levy célèbre la communion à travers la fusion de chansons d’amour et de poèmes, mixant l’arabe et l’hébreux. À l’est, de la poésie liturgique juive ; à l’ouest, des chansons arabes ; au centre, des sons qui se rencontrent et se mélangent grâce à d’anciens instruments de musique placés aux murs et au plafond.
Chants, vidéos, scénographie, histoire… l’art du jeune Israélien, systématiquement accompagné d’un compositeur et de chanteurs, est donc polyphonique. Si bien que l’on serait tenté de voir en Dor Zlekha Levy, sinon un chef d’orchestre, du moins un metteur en scène. À chaud, il répond : « Oui, une pièce immersive doit être anticipée sur tous les plans. Vous ne pouvez pas fixer un début et une fin. Tout peut arriver. Mon approche se rapproche donc plus de celle d’un metteur en scène de théâtre contemporain. »
La discipline est en effet plus déstructurée et participative que son itération classique. « Tout est fait pour que vous soyez immergé dans le lieu, dans une mémoire et une culture communes ». Autrement dit, l’art de Dor Zlekha Levy n’a pas simplement pour but de rassembler ; de Reflection à One Tongue, chacune de ses œuvres est également pensée pour nous ressembler.