Emi Kusano : « Le web3 amène un nouveau rapport entre artistes et fans »

24 mai 2023   •  
Écrit par Lila Meghraoua

Musique, anime NFT et photographie IA : l’artiste japonaise Emi Kusano fait revivre les années 1980 tokyoïtes. Avec un certain sens du style et un évident attrait pour les nouvelles technologies.

« Je suis un peu une touche-à-tout », confie à demi-mots Emi Kusano. C’est peu de le dire. En vrac, l’artiste a été la chanteuse, compositrice et parolière d’un groupe de synthwave aux accents rétro assumés, une photographe reconnue, mais aussi une entrepreneuse et une professeure à la prestigieuse faculté des Beaux-Arts de Tokyo. Elle est désormais co-fondatrice et directrice artistique de Galverse, un projet d’anime qui a occupé pendant 24 heures la première place des ventes NFT sur la plateforme OpenSea. Et ce, dès son lancement, en 2022. Du jamais vu pour un projet d’anime. 

Pour comprendre comment Emi Kusano en est arrivée là, il faut remonter quelques années en arrière. La Japonaise a alors 17 ans et, armée de son appareil photo, arpente les rues d’Harajuku, le QG des sous-cultures tokyoïtes. L’époque s’y prête : en France, des blogueurs tels que Garance Doré et Sartorialist se spécialisent dans la photographie de mode de rue, attirant à eux les marques. Kusano suit le mouvement, partage ses photos sur un site dédié, Japanese Streets, et finit par se faire publier dans plusieurs revues établies. 

Passion rétro

Quelques années plus tard, elle fonde le groupe de synthwave Satellite Young, avec BelleMaison Sekine, qui partage avec la chanteuse une passion pour les années 1980. C’est en regardant une série typique de ces années-là, Chukana Paipai dont l’héroïne est une magical girl, une wonderwoman à couettes et à pouvoirs magiques, que Kusano a l’idée du groupe. Le duo est rejoint par Tele Hideo, qui se distingue par ce téléviseur… chaussé sur sa tête. Les titres du groupe sont une ode aux années 80, tant par les sonorités que l’esthétique adoptée. 

« Tu restes bloqué devant tes jeux vidéo, tu ne me regardes même pas / Mais dans une ère où l’on peut rencontrer qui on veut, une belle gueule ne suffit plus / Je danse et je swipe au rythme de l’algorithme », chante la jeune femme aux cils maquillés de strass en LEDs. Traduction : Emi Kusano veut vivre un amour moderne.

De cette période, Emi Kusano évoque encore son appétit pour la collaboration et la polyvalence. « J’aime ce que la musique a de collaboratif. Quand tu es musicienne indé, tu files un coup de main partout : tu bosses sur le concert, le merch’, les clips, les pochettes ». Malheureusement, la pandémie arrive et, avec elle, son lot de solitude. « Je suis frustrée, je m’ennuie, je ne peux plus jouer sur scène, tourner des clips, travailler avec des gens. Je suis bloquée à la maison comme tout le monde et là, je tombe sur Clubhouse ». Dans ces lives audio, des artistes débattent avec des passionnés de crypto : « Ils parlent beaucoup de NFT. Alors, je réalise un clip vidéo et, plutôt que de le poster sur Youtube, je décide de le diffuser et de le vendre sur Foundation. Mais ça reste un one shot ». Du moins, pour le moment.

Anime futuriste

Emi Kusano ne le sait pas encore, mais Zombie Zookeeper, son fils de 8 ans, va finir de l’introduire définitivement dans le monde du web3. « On était en train de dîner avec ma famille, je racontais mes aventures de NFT et là, mon fils, qui dessine sur sa tablette, me dit qu’il veut minter ses œuvres pour s’acheter une carte Pokémon ».

Inspiré par le jeu Minecraft, son fils fait du pixel art. Il dévoile rapidement un vrai talent, une certaine obsession et une évidente volonter de « zombifier tout son univers dans ses dessins – un chat zombie, une chaise zombie et même, un wifi zombie », s’amuse Emi Kusano. Rapidement, l’enfant connaît un grand succès : ses zombies se vendent comme des petits pains. Steve Aoki, le DJ japonais et fou de NFT, est l’un de ses collectionneurs, tandis que la Toei, le plus grand studio d’animation japonais, travaille actuellement avec Zombie Zookeeper sur la réalisation d’un film d’animation autour de son univers.

« Je crois qu’il a inspiré pas mal d’artistes japonais à se lancer dans les NFTs », précise-t-elle. Et d’ajouter : « Un jour, je reçois un DM de Devin Mancuso qui me propose de travailler ensemble ». Ce dernier est un des dirigeants de Dropbox et possède un des pixel arts de son fils. « Il ne le revendique pas, mais lui aussi, c’est un gros otaku ; il a un tatouage de One Piece ». La musicienne lui pitche alors un projet d’anime dont elle a eu l’idée avec une de ses amies mangaka, Ayaka Ohara « Toutes les deux, on adore le style rétro, les années 1980-1990, les magical girls, la sci-fi et les gyaru ».

Neural Fad, 2023 ©Emi Kusano.

Au Japon, les gyaru sont des jeunes femmes au style vestimentaire affirmé : cheveux très blonds ou décolorés, le teint qui a abusé des salons d’UV et/ou du fond de teint, mini jupes et maquillage de guerrières. Autant dire qu’elles sont une réelle source d’inspiration pour Emi Kusano : « Les gyaru délivrent un réel message d’émancipation ; on s’en est inspiré pour imaginer Galverse. Dans la science-fiction des années 1980-90, les héroïnes sont souvent badass, mais elles restent définies par un regard masculin. Soit elles sont sexualisées, soit elles servent d’acolytes à un homme. Avec Ayaka, ça nous a toujours énervé  ». Galverse est né.

Web3 = Fan 3.0 ?

« Au cœur de la galaxie repose un pouvoir immense : la déesse de Galverse. Incarnée par une planète magique baptisée « Mère », elle est la source de la bonté et de l’équilibre universels. Une calamité s’abat sur Galverse (…) 8 888 fragments de la déesse sont engendrés : les Gals ». Ces 8888 « fragments », ce sont les personnages imaginés par Ayaka Ohara, Emi Kusano et la communauté des collectionneurs de Galverse. En avril 2022, afin de financer son anime, l’équipe met en vente 8 888 NFT – ces derniers partent en 5 heures. « Ça nous a surpris », s’étonne encore Emi Kusano.

Depuis, la communauté échange sur les arcs de narration du film, les noms des personnages : « Chaque collectionneur peut suivre l’ensemble du processus créatif », commente Emi Kusano, qui voit dans le web3, une nouvelle forme de crowdfunding, particulièrement vertueux pour les artistes. « Le web3 amène un nouveau rapport entre artistes et fans. La communauté de Galverse a un lien émotionnel à certains personnages, parce qu’ils ont suivi toute la création, et parce qu’ils en possèdent même un ». 

Depuis quelque temps, Emi Kusano a développé une nouvelle approche artistique qui combine tous ses amours. À l’image de Neural Fad, une collection de photographies générées par IA proposant un voyage rétrofuturiste dans un Tokyo alternatif qui n’est pas sans évoquer l’ambiance de Harajuku et de Shibaya. Passionnant !

Explorez
"PIXELS" de Miguel Chevalier : que vaut la dernière expo du Grand Palais Immersif ?
©Miguel Chevalier
« PIXELS » de Miguel Chevalier : que vaut la dernière expo du Grand Palais Immersif ?
Première grande exposition parisienne dédiée à l’artiste français Miguel Chevalier, “PIXELS” alterne les formes hypnotiques colorées et...
22 novembre 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Biennale Chroniques - Les voies secrètes du plaisir
"L'héritage de Bentham” ©Donatien Aubert
Biennale Chroniques – Les voies secrètes du plaisir
S’il existe une possibilité de goûter au plaisir, la Biennale des Imaginaires Numériques, dont Fisheye Immersive est partenaire, suggère...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Maxime Delcourt
« Les immatériaux » : le jour où le Centre Pompidou a consacré l'art informatisé
“L’objet perdu", de Jaques-Elie Chabert, Jean-Paul Martin, Camille Philibert et Dominique Horviller, 1985, Minitels et œuvres télématiques ©Centre Pompidou, MNAM-CCI
« Les immatériaux » : le jour où le Centre Pompidou a consacré l’art informatisé
Le 28 mars 1985, le Centre Pompidou donnait l'impression d'ouvrir de nouveaux mondes avec “Les Immatériaux”, une exposition imaginée...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Galerie Artverse : « Développer l’art numérique en un genre durable, et non pas en une tendance éphémère »
©Artverse Gallery
Galerie Artverse : « Développer l’art numérique en un genre durable, et non pas en une tendance éphémère »
Alors que le marché des NFTs connaît d’importantes incertitudes, la nouvelle galerie Artverse se positionne comme un acteur engagé dans...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
"PIXELS" de Miguel Chevalier : que vaut la dernière expo du Grand Palais Immersif ?
©Miguel Chevalier
« PIXELS » de Miguel Chevalier : que vaut la dernière expo du Grand Palais Immersif ?
Première grande exposition parisienne dédiée à l’artiste français Miguel Chevalier, “PIXELS” alterne les formes hypnotiques colorées et...
22 novembre 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Qui est Josep Poblet, architecte de lumière ?
“Lux Domus” ©Josep Pablot/Llum BCN 2024
Qui est Josep Poblet, architecte de lumière ?
Découvert lors de la dernière édition de CHRONIQUES, la Biennale des Imaginaires Numériques, Josep Poblet est un véritable touche-à-tout...
21 novembre 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Biennale Chroniques - Les voies secrètes du plaisir
"L'héritage de Bentham” ©Donatien Aubert
Biennale Chroniques – Les voies secrètes du plaisir
S’il existe une possibilité de goûter au plaisir, la Biennale des Imaginaires Numériques, dont Fisheye Immersive est partenaire, suggère...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Maxime Delcourt
« Les immatériaux » : le jour où le Centre Pompidou a consacré l'art informatisé
“L’objet perdu", de Jaques-Elie Chabert, Jean-Paul Martin, Camille Philibert et Dominique Horviller, 1985, Minitels et œuvres télématiques ©Centre Pompidou, MNAM-CCI
« Les immatériaux » : le jour où le Centre Pompidou a consacré l’art informatisé
Le 28 mars 1985, le Centre Pompidou donnait l'impression d'ouvrir de nouveaux mondes avec “Les Immatériaux”, une exposition imaginée...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard