Le festival d’Avignon en a encore fait la démonstration cette année. Le théâtre rentre dans l’ère de l’immersif à cadence accélérée. Et cette tendance semble entraîner dans son sillon l’émergence de formes réjouissantes.
Le grand rendez-vous du genre, baptisé « Aires numériques », dédié aux formes 2.0 au Grenier à Sel, en était à sa quatrième édition à Avignon. Dans le désordre, on y découvrait le spectacle E.MOTION : l’extraordinaire métamorphose en motion capture temps réel et marionnettes numériques 3D, un cirque en réalité virtuelle, la comédie sur l’intelligence artificielle GaroutsIA… Que d’inventivité sur scène ! Alors même qu’on pensait le théâtre cantonné au strict jeu d’acteurs, parfois en musique ou dans des décors spectaculaires en mouvement, certes.
Scènes augmentées et virtuelles, dispositifs immersifs et interactifs, expériences numériques… On l’a vu : les possibilités foisonnent. Mais qu’apportent-elles réellement au théâtre ? Là aussi, les réponses varient. Elles ont été passées en revue pendant le forum « Entreprendre dans la culture 2023 » les 12 et 13 juillet, toujours à Avignon. Parmi elles, sont évoquées comme points forts la « diversification des publics » et une « réinvention de la relation spectateurs/interprètes ». Ces formes seraient plus à même d’attirer les néophytes dans les salles et de les embarquer en les impliquant sensoriellement et activement. À ce sujet, on pense à la pièce L’Éloquence des fleurs (Axel Beaumont, Julie Desmet Weaver, Léa Ducré et Benjamin Hoguet) qui permettait aux spectateurs d’envoyer des messages en direct pour les voir traduits en oracles au « parler fleur ».
Pour ce qui est des ressorts créatifs, Rémi Ronfard (chercheur associé à l’EnsAD) loue au cours du forum des « possibilités dramaturgiques inédites ». On l’aura donc compris : l’immersif vient dépoussiérer et booster un milieu qui peinait à séduire les nouvelles générations. En résultent des oeuvres hybrides, qui ne reculent plus pour mixer le jeu d’acteurs avec de la 3D, du virtuel, de la réalité augmentée…
De nouveaux challenges pour les lieux de diffusion, et pas que…
Néanmoins, pour le théâtre, passer des dispositifs traditionnels à l’immersion est plus facile à dire qu’à faire. D’abord, notons que ces formes atypiques constituent de nouvelles scènes et infrastructures qui confrontent des salles bâties il y a parfois plusieurs siècles à leurs limites. Le défi, de taille, ressemble parfois à faire « rentrer des ronds dans des carrés » remarque Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération interrogé par Libération.
La viabilité de ces nouvelles propositions, plébiscitées du côté du public et de certains artistes, se pose aussi en termes de finances. En effet, leur coût de production est globalement plus élevé que pour un plateau classique. En un mot : qui va payer ? Organismes du spectacle vivant ou bien celles pour le cinéma et l’image animée comme c’est le cas du CNC ? Les professionnels plaident pour des financements croisés. Et bonne nouvelle : leurs demandes semblent entendues.
Ultime frein, et pas des moindres, Joris Mathieu parle d’un « changement de culture ». Entre théâtre et digital, nous faisons face à deux paradigmes que tout semble opposer. L’un repose sur l’aspect vivant, l’incarnation, les corps à l’oeuvre. L’autre sur le recours aux technologies. L’idée n’est certainement pas de perdre cette dimension « vivante » mais de prendre conscience qu’elle peut se conjuguer avec le virtuel pour de nouveaux types d’expériences. Et réciproquement, il se pourrait que le théâtre vienne apporter un coup de jeune à nos usages hyper-individualisés de ces mêmes technologies en les transposant dans un contexte collectif, interactif. En conclusion : décloisonner est et restera toujours un signal favorable pour la création.