Alors que le marché des NFTs connaît d’importantes incertitudes, la nouvelle galerie Artverse se positionne comme un acteur engagé dans la promotion de l’art numérique à Paris. Quels sont les enjeux d’un tel lieu ? Quel avenir pour l’art digital au cœur des institutions ? Sebastien Borget, co-fondateur, et Grida, directrice, répondent.
Ouverte en juin 2024 au cœur du Marais, à Paris, Artverse se présente comme une maison de l’art et de la culture numérique. Co-fondée par Arthur Madrid et Sebastien Borget, également cofondateurs de la plateforme Sandbox, cette galerie de 300m2 s’étend sur trois étages. Sa mission ? Explorer et promouvoir la création digitale sans créer de barrière entre la technologie, l’art numérique et l’art contemporain, tout en regroupant différentes audiences, initiées et débutantes. Sébastien Borget et Grida examinent avec nous les défis auxquels iels font face pour construire un avenir durable et éthique à l’art numérique.
Comment pourriez-vous définir le processus de curation chez Artverse ?
Sebastien Borget : Grida, la directrice et curatrice d’Artverse, a de nombreuses années d’expérience dans le domaine. Elle était directrice curatrice d’une autre galerie à Paris qui s’appelait la IHAM Gallery. De mon côté, je suis principalement porté sur l’art asiatique qui provient de Corée, du Japon, de Hong Kong. Mon bureau devenait trop petit pour ma collection personnelle, alors Artverse prend le relais et permet à un plus grand nombre de voir ces œuvres. Petit à petit, je vais les mettre en marge de la collection principale que Grida sélectionne au premier étage et au sous-sol, où l’on peut garder quelques œuvres de manière permanente. Ces dernières vont ainsi créer une sorte de dialogue autour de cette culture moins visible ici, à Paris.
Grida : Au cœur de notre curation, il y a cette volonté de savoir quelle signification un artiste revêt, non seulement dans le domaine de l’art numérique, mais dans l’ensemble de l’histoire de l’art. Les œuvres d’art numérique, crypto et on-chain sont encore en pleine évolution. À ce stade, elles relèvent plus d’un phénomène vivant que d’une histoire. Nous nous efforçons de mettre en avant des artistes qui créent des œuvres significatives aujourd’hui et qui seront mémorables dans le futur. « L’Art, n’a pas d’existence propre. Il n’y a que des artistes », l’une de mes citations préférées, provient de l’Histoire de l’Art d’Ernst Gombrich. Cela résonne profondément avec la philosophie du Web3, qui met l’accent sur les personnes et les communautés, et je pense que cette idée s’étend aussi à l’art. Plutôt que de me concentrer uniquement sur les œuvres, je cherche à comprendre la vie des artistes au cœur de leur époque. Ainsi, je préfère dire que nous « n’exposons pas des œuvres », mais que nous « invitons des artistes ».
Ces dernières années, on note une prolifération massive d’œuvres et de projets NFTs sur les marketplaces. Sachant cela, comment arrivez-vous à garantir une certaine singularité au sein de votre sélection ?
G. : Il est important de distinguer les termes « NFT », « art numérique », « art NFT », et « art crypto/on-chain ». Les NFTs eux-mêmes sont comme des certificats sur la blockchain qui authentifient une création, mais ils ne sont pas de l’art en soi. L’art NFT désigne des créations intégrant la fonctionnalité NFT, tout comme nous classons des œuvres d’art en fonction du médium, telles que l’aquarelle ou la peinture à l’huile. Au début, de nombreux projets frauduleux ont éclipsé de précieuses créations NFT. Chez Artverse, nous nous concentrons sur la création d’un espace d’exposition pour ces artistes et collectionneurs qui ont persévéré. De plus, nous mettons l’accent sur le rapprochement entre le monde de l’art traditionnel et de l’art numérique. Nous priorisons les artistes qui peuvent contribuer à la construction d’une communauté artistique stable et unifiée.
Les NFTs ont connu un pic de popularité en 2021-2022, mais on constate un certain recul depuis. Ou du moins, une intense régulation. Quelle est, selon vous, leur place actuelle dans le marché de l’art numérique ?
SB : Si nous regardons le marché de l’art en général, il me semble que moins de 3 ou 4% des plus grands collectionneurs dans le monde possèdent de l’art digital, de l’art numérique. Il y a évidemment une marge de progression très importante. Et pour qu’une marge de progression arrive, il faut travailler à plusieurs sujets. Tout d’abord, éduquer les collectionneurs traditionnels pour qu’ils ou elles puissent comprendre la valeur de l’art numérique et des NFTs. Il faut aussi qu’ils puissent avoir des lieux physiques où ils peuvent contempler de l’art digital et des NFTs comme ils le font traditionnellement. Cela passe également par la reconnaissance des institutions, des musées. Cela prend du temps, mais un mouvement est en place. Le Centre Pompidou, le MoMA ou encore le Musée d’Orsay ont acquis des œuvres NFT par exemple.
Est-ce que les collectionneurs d’art traditionnel et les acheteurs d’art numérique sont deux marchés distincts, ou voyez-vous une convergence progressive entre ces deux publics ?
SB : Il me semble que l’âge moyen d’un collectionneur d’art traditionnel est entre 50 et 60 ans, alors que l’âge moyen d’un collectionneur d’art digital est entre 20 et 30 ans. À un moment, ces âges vont se rapprocher, les enfants des collectionneurs d’art traditionnel s’intéressent eux-mêmes à l’art digital en recherchant un médium plus moderne. Je suis plutôt confiant. D’ailleurs, Artverse se positionne comme ce pont entre deux univers qui, pour l’instant, sont assez séparés, mais vont tendre à se rejoindre et à être ingérés dans l’art tout court.
De nombreuses galeries d’art physiques bénéficient de soutiens publics ou de mécènes. Quel rôle le soutien institutionnel joue-t-il dans votre galerie Artverse ?
SB : Les collaborations vont venir petit à petit. J’utilise cette double casquette de collectionneur qui me donne accès à des liens privilégiés avec certaines institutions. Notre modèle économique est très simple. Premièrement, nous vivons principalement de l’activité de la galerie, en mettant en avant des artistes et en obtenant des commissions sur les ventes, à la fois d’œuvres digitales et d’œuvres physiques. Puis, deuxièmement, la privatisation de l’espace qui dépasse celui d’une simple galerie.
Avec l’évolution rapide du marché des NFTs, comment voyez-vous l’avenir de la spéculation et de la volatilité dans ce secteur ? Pouvons-nous imaginer un marché plus stable à l’avenir ?
SB : Les NFTs sont une technologie. Ils représentent toutes sortes d’asset numériques, de contenus. Ça peut être des avatars, des terrains virtuels, des Profile Pictures pour les réseaux sociaux et une représentation qui peut être de l’art. Ces NFTs autour de l’art ne sont pas ceux qui ont une valeur spéculative la plus haute et qui fluctuent. Aujourd’hui, nous avons dépassé cette phase où les NFTs ont cette mauvaise image évidemment très spéculative. Contrairement à 2021 et 2022, nous nous situons sur un marché plus mature qui a peut-être un volume moindre actuellement, mais qui peut seulement reprendre dans le temps parce que la technologie apporte un vrai bénéfice.
Pensez-vous que le battage médiatique autour des NFTs a nui à leur image ? Comment comptez-vous dépasser cet effet de mode ?
G. : Je ne veux pas que les NFTs, la blockchain ou l’art numérique ne soient qu’une simple tendance passagère. En médecine traditionnelle coréenne, il existe un concept où des symptômes négatifs apparaissent temporairement au début du traitement, mais conduisent finalement à la guérison. Je perçois la tendance actuelle de l’art numérique/crypto comme une sorte de douleur de croissance – un processus nécessaire pour que ce genre s’établisse. Comme je le dis souvent, la clé est la constance. Les tendances vont et viennent, mais un genre se maintient par un effort continu. Artverse s’efforce de développer l’art numérique en un genre durable, et non pas en une tendance éphémère.
SB : L’offre digitale qui a été mise en avant par les médias n’a pas été suffisante. Les NFTs ne sont pas uniquement le Bored Ape ou les CryptoPunks en pixel art. Même s’ils ont une part importante dans l’historique du NFT et dans leur démocratisation, l’art digital et le NFT, c’est bien plus que cela.
Le Web 3, tout comme les NFTs, peut être perçu comme une sphère d’initiés, souvent dominée par des groupes qui maîtrisent mieux les technologies blockchain. Comment surmonter ce problème d’accessibilité pour que ce domaine devienne vraiment ouvert à un public plus large ?
G. : Je pense que cette question peut être résolue avec le temps, à travers l’éducation. Chaque nouvelle technologie commence avec quelques personnes seulement capables de la manier, mais finit par devenir courante. Prenons l’exemple de la photographie. Lorsque les appareils photo ont été inventés, seuls des experts pouvaient les utiliser. Il en va de même pour l’impressionnisme avec les tubes de peinture ou pour Photoshop, qui était autrefois réservé à quelques graphistes. Aujourd’hui, tout le monde prend des photos, n’importe qui peut peindre à l’extérieur, et Photoshop est un outil essentiel. Nous pourrions ne pas pleinement apprécier la nouveauté et le choc qu’ont apportés ces technologies à l’époque, mais j’imagine que les gens avaient des préoccupations similaires aux nôtres aujourd’hui. De même, à mesure que nous développons des outils éducatifs plus accessibles, je crois qu’il ne faudra pas longtemps avant que l’enregistrement des œuvres d’art sur un marché d’art blockchain devienne une pratique courante afin de garantir l’originalité et la propriété des œuvres numériques. Artverse travaille à réduire ces barrières en proposant des expositions, des discussions et des programmes éducatifs pour rendre cette transition plus accessible au grand public.
Vous avez cofondé la NFT Factory, une plateforme communautaire autour des NFTs à Paris, et vous avez maintenant ouvert la galerie Artverse. Quelles sont les synergies entre ces deux projets ? En quoi se distinguent-ils ?
SB : Oui, avec Grida nous nous sommes rencontrés à cette occasion, nous faisons partie des tous premiers fondateurs de la NFT Factory. Nous allons avoir une réunion prochainement avec les huit cofondateurs et les 100 premiers fondateurs. Nous déciderons ensemble de l’avenir de la NFT Factory et si Artverse peut, ou non, porter un message ou une action. Je ne peux pas décider seul du sujet. J’étais là au début de la NFT Factory, je suis là sur Artverse. Dans le temps, je continue à progresser, à expérimenter, à apprendre et à voir comment on continue à avoir un lieu phare à Paris pour l’art digital, pour les événements du Web3 notamment. J’ai personnellement ma petite idée de ce qui peut être fait, mais je vais la présenter et voir ce que les autres membres en pensent. La NFT Factory n’aura plus de lieu physique. L’idéal serait qu’Artverse fasse partie des lieux privilégiés où la NFT Factory pourra continuer son activité, mais je ne peux pas l’imposer, car il y a un conflit d’intérêts évident.