Après avoir permis au grand public de s’immerger dans les océans, l’univers de Tintin ou les peintures de Paul Klee et Van Gogh, l’Atelier des Lumières, à Paris, offre l’opportunité aux familles d’effectuer un voyage spatio-temporel en plein cœur de l’Égypte antique, au temps des mythiques Pharaons. Pour l’occasion, l’égyptologue L’Égypte des Pharaons, Jean-Guillaume Olette-Pelletier, ainsi que la directrice artistique Virginie Martin, expliquent le rôle et les missions des conseillers scientifiques mis à contribution sur les expositions immersives.
Avant tout, revenons sur la genèse de l’exposition. Pourquoi avoir choisi l’Égypte des Pharaons comme thématique ?
Virginie Martin : Les centres d’art numérique de Culturespaces ont pour vocation de rendre des sujets d’histoire de l’Art accessible à tous, en les abordant par le biais d’une expérience physique, avec un travail essentiel sur l’animation et la musique qui ont un rôle narratif et sont vecteurs d’émotions. L’Égypte antique et son esthétique sans précédent s’inscrivent dans cette continuité de par la grande diversité de cette civilisation millénaire, avec son savoir-faire architectural inégalé, caractérisé notamment par des proportions qui se prêtent aux surfaces de projections importantes d’un centre d’art comme l’Atelier des Lumières. Cela nous a permis d’explorer d’autres techniques que la peinture, en dévoilant des bas-reliefs, des fresques, des sculptures immenses et des monuments tels que les pyramides, ou encore les temples et tombeaux mythiques, en cherchant à transmettre les émotions que l’on peut avoir en réel.
Grâce au digital, le visiteur découvre des images de chefs d’œuvres d’origine, provenant des plus grands musées à travers le monde, dans un état de conservation remarquable permettant d’observer la finesse des détails et de s’immerger dans les sites antiques. Nous avons également renforcé l’immersion grâce à une progression à échelle d’homme dans les 3D du temple de Karnak et sur le site du plateau de Gizeh, issus du jeu Assassin’s Creed Origins édité par Ubisoft. Des 3D qui sont donc basées sur une documentation scientifique rigoureuse.
Aussi populaire et fascinant soit-il, le temps des Pharaons est un sujet possiblement très vaste. Comment avez-vous réussi à angler votre propos ? Aussi, comment se passent le travail (collaboratif, j’imagine) entre l’équipe scientifique et les artistes chargés d’amener une dimension immersive au propos ?
Virginie Martin : Pour renforcer la sensation d’immersion, je souhaitais placer le visiteur à hauteur d’homme, et raconter quelles étaient les perceptions des divinités, les croyances, les coutumes et les rites à travers l’iconographie existante. J’ai été fascinée d’observer la dévotion des hommes durant leur vie pour atteindre l’au-delà. C’est ainsi que le cycle de la vie comme fil conducteur s’est dessiné, en démarrant par la création du monde jusqu’à l’arrivée des premiers hommes sur Terre et leur quotidien, la vie des pharaons jusqu’à l’avènement de la mort et l’accès aux champs d’Ialou, le paradis égyptien durant l’Antiquité. Cet angle m’a permis de me libérer de la chronologie, afin de pouvoir réunir des sources de périodes différentes qui auront perduré sur près de 3 000 ans autour de thématiques communes qui enrichissent et structurent le parcours. Tout cela s’est réalisé sous les conseils scientifiques de Jean-Guillaume Olette-Pelletier, qui nous a accompagnés dans ce récit, en validant l’iconographie présentée dans l’exposition.
Jean-Guillaume Olette-Pelletier, vous êtes docteur en égyptologie et conseiller scientifique pour l’exposition L’Égypte des Pharaons. Pourquoi avoir accepté de travailler sur cette exposition immersive ? Par extension, quel est votre rapport aux arts numériques/immersifs ?
Jean-Guillaume Olette-Pelletier : Travailler pour cette exposition était pour moi l’opportunité de découvrir une approche aussi bien artistique que respectueuse des œuvres pharaoniques choisies. En tant qu’égyptologue, le caractère scientifique de ces artefacts prime toujours aux dépens de leur nature artistique, une erreur récurrente qui omet leur fonction religieuse ou pratique première. Par le prisme de Virginie Martin, directrice artistique de l’exposition, L’Égypte des Pharaons sublime ces objets issus de fouilles archéologiques anciennes et récentes. L’essence même de ces œuvres est d’autant plus mise en avant par leur animation numérique. Cette technique permet de rester au plus proche de la vision des anciens Égyptiens, voire de la restaurer. Par ailleurs, le caractère immersif de cette exposition transforme aussi l’Atelier des Lumières en véritable temple ou tombeau pharaonique, gardien de ces trésors.
« Le caractère immersif de cette exposition transforme aussi l’Atelier des Lumières en véritable temple ou tombeau pharaonique, gardien de ces trésors. »
Concrètement, en quoi consiste votre mission de conseiller scientifique ? Aussi, combien de temps de travail cela nécessite-t-il ?
Jean-Guillaume Olette-Pelletier : Mon rôle de conseiller scientifique était de vérifier tout d’abord la cohérence historique de chacune des œuvres choisies en fonction des thèmes abordés par Virginie. La relecture des textes explicatifs, des cartels des objets présentés et des titres apparaissant au bas des œuvres exposées était ma seconde mission. En corrigeant certains aspects, comme le culte d’Aton qui n’a jamais été un monothéisme, ou encore la désignation de la déesse Tefnout comme déesse de la chaleur et non de l’humidité, il s’agissait là d’apporter des corrections scientifiques et de transmettre nos dernières découvertes afin de souligner cet aspect de l’exposition et éviter ainsi de tomber dans les écueils de la recherche sur l’Égypte pharaonique.
Enfin, mon rôle était aussi de lire les textes hiéroglyphiques présentés et animés afin d’éviter certaines erreurs, comme le temple d’Abou-Simbel associé au nom royal de Ramsès II, et non de Ramsès III, par exemple. Ce travail de vérification, bien moins long que le montage et l’animation des œuvres par l’équipe de Virginie, a duré quelques mois et plusieurs visionnages. Mais en tant qu’égyptologue, ce travail fut tout simplement passionnant et scientifiquement porteur.
À quelle étape de l’exposition êtes-vous intervenu ?
Jean-Guillaume Olette-Pelletier : Je suis intervenu après les premiers montages de l’exposition, et plus particulièrement avant les derniers thèmes abordés, comme les fouilles sous-marines de Thônis-Héraklion.
Pensez-vous que les expositions de ce type, s’appuyant sur de nouvelles technologies, permettent de coller le sujet abordé au plus près ?
Jean-Guillaume Olette-Pelletier : Tout à fait ! Cela immerge le spectateur dans une civilisation ô combien complexe et évoluant sans cesse sur plus de 3 300 ans. L’apport des nouvelles technologies permet également de « ressentir » par les animations, mais aussi par les musiques choisies, des sentiments de grandeur ou, à l’inverse, de pesanteur des monuments, des émotions de tristesse avec le passage des pleureuses ou de beauté avec l’écoulement de l’or – des émotions que les anciens Égyptiens eux-mêmes devaient probablement ressentir. De mon point de vue, il s’agit là d’une véritable expérience scientifique : une archéologie expérimentale des émotions ancestrales dans laquelle le spectateur devient lui-même observateur et acteur.
« Il s’agissait d’apporter des corrections scientifiques et de transmettre nos dernières découvertes afin de souligner cet aspect de l’exposition et éviter ainsi de tomber dans les écueils de la recherche sur l’Égypte pharaonique. »
Virginie Martin : Je tiens également à préciser que nous proposons également à l’Atelier des Lumières un contenu pédagogique à l’intérieur du volume de la citerne, avec des repères historiques, cartes et photos des différents sites présentés pour compléter l’expérience. Les visiteurs ont également la possibilité via un QR code donnant accès à l’application de Culturespaces, d’y trouver du contenu informatif en amont ou suite à leur visite. Nous laissons ainsi chaque visiteur vivre sa propre expérience.
Le défi, lorsque l’on est conseiller scientifique, n’est-il pas d’éviter d’être trop pointu, de garder en tête qu’il s’agit d’une exposition, avec la notion de divertissement que cela implique ?
Jean-Guillaume Olette-Pelletier : C’est le souci premier des chercheurs. Il faut arriver à sortir de son jargon afin d’être compris de tous. Parfois, c’est compliqué. Mais c’est aussi l’objectif de la recherche : arriver à transmettre ce savoir aux autres et tout particulièrement aux plus jeunes afin que ce même savoir perdure ! L’Égypte pharaonique a toujours suscité l’attrait des plus jeunes, un attrait dont je fus moi-même victime, renforcé notamment par les jeux vidéo tels Tomb Raider ou encore Assassin’s Creed : Origins. De ce point de vue, l’exposition L’Égypte des Pharaons joue parfaitement ce rôle de médiateur.
Par le passé, aviez-vous déjà collaboré avec des musées ou des lieux d’exposition ? Si oui, pourriez-vous m’en parler ?
Jean-Guillaume Olette-Pelletier : J’ai en effet collaboré avec l’exposition Ramsès et l’or des pharaons en 2023 à la Grande Halle de la Villette, mais uniquement en tant qu’influenceur (@fregyptologist). J’avais pour objectif de filmer et d’expliquer scientifiquement certains des artefacts présentés. Une manière là aussi de transmettre nos connaissances aux nouvelles générations par le biais de courtes capsules vidéo postées sur les réseaux sociaux.
- L’Égypte des Pharaons, jusqu’au 5 janvier 2025, Atelier des Lumières, Paris.