Luminariste est une agence de conception lumière qui cumule les interventions dans le domaine de la muséographie, du spectacle vivant ou des arts numériques. Cette jeune structure lyonnaise s’est récemment faite remarquer avec Cymopolée, une installation immersive installée dans l’espace public et présentée sur plusieurs festivals (Constellations à Metz, Scopitone à Nantes). Rencontre avec les concepteurs de l’œuvre, Benjamin Nesme et Marc Sicard, qui nous dévoilent les secrets d’une installation immersive réussie, avec en cas pratique Cymopolée.
1/ Travailler la narration !
Premier conseil : à la base de toute chose, il est nécessaire de travailler la narration de l’œuvre. Que souhaite-t-on raconter ? Quelles émotions souhaite-t-on susciter ? Benjamin Nesme explique le propos de Cymopolée : « On souhaitait créer une œuvre consciente qui évoque les enjeux climatiques, et notamment l’impact des cyclones. Ils se nourrissent des eaux chaudes et, avec le réchauffement des océans, seront de plus en plus forts, tandis que leur localisation sera amenée à bouger. En parallèle, on voulait éveiller les émotions que les citoyen·nes ressentent face au dérèglement climatique : le déni, la peur, la colère. »
Voilà une première intention, rapidement enrichie par une trame narrative. « La question est de comprendre l’effet d’un cyclone à l’intérieur d’une ville. Cela vient nourrir une écriture : les scientifiques arrivent à anticiper des phases d’alerte… Puis on observe une montée de l’intensité du vent. Ensuite, vient l’œil du cyclone où, paradoxalement, un calme absolu qui précède une tempête extraordinaire. C’est ce même fil qui est travaillé dans Cymopolée avec un cycle son et lumière de dix minutes. Enfin, nous souhaitions donner une incarnation à l’œuvre. Cymopolée est la déesse grecque des catastrophes naturelles ; cette figure mythologique résonne par le biais de voix lyriques, comme des cris de rage, de désespoir, de nostalgie aussi. Quoi qu’il en soit, la technologie n’est jamais une fin en soi, elle est au service de l’art et de l’histoire », complète Benjamin Nesme.
2/ La complémentarité fait la force
Savoir s’entourer d’une équipe d’expert·es où les compétences sont bien attribuées est une des clés de réussite pour tout projet. Marc Sicard décrit l’organisation choisie de Luminariste : « À la base, nous partons d’une intention que je traduis rapidement en dessin. Cela permet d’esquisser une structure qui nous sert de première ébauche, de travailler en faisant des aller-retours avec tous les créatifs et expert·es que nous intégrons au projet. À chaque fois, il y a en effet des problématiques techniques ou de sécurité sur lesquelles nous échangeons pour conserver notre ambition artistique. Pour Cymopolée, nous avons eu cette idée de totem sur lequel nous souhaitions illustrer des phénomènes immatériels. Pour créer ce volume nous avons travaillé avec des artisans soudeurs spécialisés, et fait de nombreux aller-retour avec les bureaux d’études.
Aussi, notre pari était de faire circuler la lumière pour modéliser la tornade. Benjamin Nesme a donc conçu un dispositif de Leds sur la surface du totem pensé comme des ondulations du vent. Enfin, pour dynamiser et spacialiser l’œuvre, nous avons collaboré avec deux designers sonores, Camille Rocailleux et François Weber. Cela nous a permis de créer un univers sur-mesure et cohérent avec notre propos : on passe ainsi d’un univers lyrique à des ambiances assez métalliques faites de guitares électriques ou percussives qui peuvent rappeler le son de la pluie d’un cyclone sur des toits en tôle. C’est la somme de ses compétences qui font la richesse de l’œuvre. »
3/ Penser l’œuvre dans son contexte de perception
Les enjeux liés à la perception du public et à la compréhension de l’œuvre sont au cœur de la réussite d’un projet immersif. Benjamin Nesme souligne ici les problématiques à prendre en compte. « Lorsque l’installation est présentée dans l’espace public, que le public n’est pas convoqué à une heure précise comme dans une salle de spectacle, le plus gros défi est de réussir à l’intégrer. L’écriture de la narration doit donc être dynamique. Pour Cymopolée, par exemple, nous avons fait en sorte qu’il y ait un élément nouveau toutes les 30 secondes, que le public puisse intégrer l’histoire en cours de route. Quand ce dernier est simplement de passage, c’est à nous de créer ce rapprochement avec l’œuvre, ce qui est totalement différent de représentations où la venue des spectateurs n’est pas accidentelle, où les gens sont invités à s’asseoir et à regarder l’œuvre. Tout dépend donc de la configuration.
Autre point important : nous avons tenu à mettre un dispositif de médiation. À proximité de Cymopolée, nous avons ainsi ajouté des textes sur les cyclones afin que l’œuvre ne soit pas qu’esthétique ; elle doit aussi être informative. Enfin, je crois que l’œuvre doit résonner avec l’espace dans lequel elle s’insère. À Lyon, par exemple, Cymopolée était installée au milieu d’une fontaine, cela nous a permis de jouer avec les reflets dans l’eau. »