Être artiste, c’est permettre la rencontre avec une oeuvre, une pensée, un thème, une esthétique. Pour ce faire, il faut d’abord, du côté de l’artiste en question, s’être fait·e connaître. C’est l’objectif de « premier contact », série de mini-portraits pensés comme des speed-meeting, des premiers points d’accroche avec de jeunes artistes et leurs univers si singuliers. Pour ouvrir le bal, place à Anhar Salem, cette réalisatrice fascinée par les extensions virtuelles de nos vies « réelles » via les réseaux sociaux.
Un élément biographique
Anhar Salem est née en Arabie saoudite, à Djeddah, en 1990. Bien qu’ayant grandi dans un milieu multiculturel, la jeune réalisatrice a vécu dans un pays où l’espace de liberté et d’expression des minorités de genre se situe le plus souvent dans la sphère intime. Inconsciemment ou non, Anhar Salem s’est donc d’instinct tournée vers les espaces de la chambre, du foyer ou des datas de nos téléphones avec, en tête, l’objectif de collecter des paroles et vécus trop longtemps invisibilisés, voire marginalisés. Par conséquent, elle réduit ainsi son équipement au stricte minimum (souvent, juste un iPhone) afin de pénétrer dans ces lieux privés et d’aider celles et ceux qui lui ouvrent leur porte à dépasser leur pudeur initiale.
Une oeuvre
Love & Revenge (2021) est sa deuxième vidéo produite pendant sa résidence au Fresnoy, établie de 2019 à 2021, et condense à elle seule ses sujets de prédilections : une chambre d’ado, une jeune saoudienne qui fantasme la possibilité d’échapper aux normes sociales asphyxiantes pour exprimer totalement sa féminité, et un téléphone. S’ensuit un huit clos incroyablement ouvert sur le monde, notamment grâce à l’attitude du personnage principal, Doody, qui ne cesse de se mettre en scène sur les réseaux à travers des filtres et des tenues sexy… Le problème, c’est lorsque son avatar déborde dans le monde physique ; inévitablement, ça dérape, confrontant Doody aux sentiments les plus honteux. Notons que Love & Revenge est joué à la façon d’une vraie-fausse autobiographie, avec Anhar Salem et différents membres de sa famille pour acteurs, comme un écho entre le confinement (qu’elle a vécu depuis Roubaix) et le contexte saoudien.
Une récompense
En 2021, Anhar Salem s’est vue remettre pour Love & Revenge la « Révélation Art numérique – Art vidéo » de l’ADAGP, prix qui récompense les différents talents du Fresnoy, à Tourcoing. Aux yeux du jury, ce projet se démarquait de par son engagement, sa réalisation, co-créé « avec ses jeunes actrices, entre Tourcoing et Djeddah », mais aussi de par son utilisation des nouvelles technologies, la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques allant jusqu’à considérer Love & Revenge comme « un film qui fait un usage participatif et réflexif des technologies, qui sont le sujet du film. »