Être artiste, c’est permettre la rencontre avec une œuvre, une pensée, un thème, une esthétique. Pour ce faire, il faut d’abord, du côté de l’artiste en question, s’être fait reconnaître. C’est l’objectif de « premier contact », série de mini-portraits pensés comme des speed-meeting, des premiers points d’accroche avec de jeunes artistes et leurs univers si singuliers. Cette fois, Fisheye Immersive s’intéresse à Jason Isolini, artiste pluridisciplinaire qui, à travers ses collages 3D, interroge la privatisation cachée de tout ce qui est censé ressortir du domaine public.
Un élément biographique
Basé à New York, Jason Isolini est un artiste pluridisciplinaire dont les collages 3D et les installations mettent en lumière la confusion croissante des environnements corporatifs, publics et privés. Diplômé d’une licence en art appliqué, photographie et vidéo à la School of Visual Arts de New York, ainsi que d’un master d’art appliqué à l’Art Institute of Chicago, Jason Isolini est également un grand passionné de skateboard. C’est d’ailleurs sa présence régulière au sein des skateparks qui l’amène à réfléchir sur les frontières entre l’espace public et privé, les espaces communs prétendument« publics » n’existant majoritairement plus au sein des grandes villes comme New York qu’en raison d’accords financiers avec des institutions privées – d’où l’essor des POPS (Private Owned Public Spaces). Même constat pour Internet, qui promettait à l’origine un bien commun numérique égalitaire à ses utilisateurs, et qui est devenu un terrain de jeu pour le pouvoir des entreprises.
Dès lors, Jason Isolini se pose plusieurs questions : est-il encore possible que quelque chose n’appartienne à personne tout en étant pour tout le monde ? Politique mais aussi personnel, son travail fait également le parallèle avec le rétrécissement des écarts entre « l’occupation professionnelle » et la pratique artistique, un autre espace dans lequel la frontière entre les vies privées et publiques est de plus en plus floue.
Une œuvre
Sous ses airs d’aquarium du futur, Fish Tank Website (2024) combine en réalité matériel informatique et véritable bocal à poissons afin de matérialiser le fait de surfer sur Internet, ainsi que les besoins naturels dont le numérique a besoin pour fonctionner. L’aquarium met ainsi en lumière les pratiques d’exploitation minière en mer dans le but d’obtenir des nodules polymétalliques, très riches en matériaux utilisés pour nos smartphones, ordinateurs et tablettes. « Naviguer » sur le web prend alors tout son sens.
Une actualité
L’œuvre Fish Tank Website prend place au sein de l’exposition You’re Bringing Me Down, à la Picture Theory Gallery de New York, qui fait le lien entre le cheval de bataille d’Isolini (explorer la thématique des « espaces fusionnés ») et le fonctionnement de nos infrastructures numériques. Le titre, qui sonne comme celui d’un morceau pop-rock, fait en réalité référence à l’extraction sous-marine et minière, nécessaire au bon fonctionnement du matériel informatique.
À travers ses oeuvres, l’artiste américain nous renvoie à l’idiome du « canari dans la mine de charbon », ainsi qu’à une époque où les petits oiseaux étaient envoyés sous terre pour détecter les gaz toxiques. Hasard ou non, Jason Isolini utilise d’ailleurs de véritables canaris taxidermisés dans son travail Revival Cage, présenté à la galerie, tout en posant une dernière question, purement rhétorique : en tant qu’utilisateurs du numérique, ne sommes-nous pas devenus ces petit canaris ?