L’artiste basé à Berlin affole les États-Unis avec deux expositions simultanées à Manhattan dans lesquelles il rapproche le monde de la tech avec celui des légendes médiévales. Une véritable obsession pour celui qui, depuis une petite quinzaine d’années, ne cesse de questionner l’impact du progrès sur notre quotidien.
Rappelez-vous : 2021, au Met Gala. La musicienne Grimes, alors compagne du magnat de la technologie Elon Musk, se rend à l’événement le plus fashion de l’année accessoirisée d’une immense épée, fabriquée à partir d’un fusil automatique fondu, l’AR-15. Il n’en faut pas plus pour insuffler à Simon Denny l’idée que les acteurs du numériques ne sont ni plus ni moins que les chevaliers d’hier, et que ce sont les rêves des sorciers et des forgerons, les forêts sombres et les châteaux en pierre qui façonnent les nouveaux royaumes de la technologie. De la forêt de Brocéliande à la Silicon Valley, n’y aurait-il vraiment qu’un pas ?
Dungeon, fantaisie geek
Né en 1982 à Auckland, en Nouvelle-Zélande, pays dont il a représenté les couleurs à la 56e Biennale de Venise en 2015, Simon Denny est désormais établi à Berlin. C’est donc depuis la capitale allemande qu’il pense ses projets, peuplés d’icônes post-modernes et de réalisations DIY, pensés pour explorer la manière dont le progrès technologique affecte notre expérience et même notre compréhension. À travers ses œuvres, le Néo-Zélandais se réapproprie ainsi les histoires que les technologues nous racontent sur le monde grâce à une pratique pluridisciplinaire où se mêlent l’installation, la sculpture, l’impression 3D, la peinture, la vidéo et le crypto-art. Pour sa cinquième exposition à la Petzel Gallery de New York, Dungeon, Denny a donc choisi de rendre un hommage presque dérangeant à Grimes – autrefois reine consort du monde de la tech, mère des princes héritiers X Æ A-XII, Exa Dark Sideræl et Techno Mechanicus -, en érigeant un temple à sa gloire.
Il y a aussi une épée chez Petzel : une réplique d’Anduril, une lame elfique du Seigneur des anneaux, que Simon Denny a façonnée à partir de résine teintée de café en s’inspirant de l’épée appartenant à Palmer Luckey, l’entrepreneur du secteur de la défense et inventeur du casque de réalité virtuelle Oculus Rift, vendu à Facebook pour 2 milliards de dollars début 2017. Pour plaisanter, Luckey a un jour modifié un casque avec des explosifs afin renforcer les liens entre la virtualité et le monde réel : en gros, si votre avatar venez à mourir dans un jeu, vous mourriez dans la vraie vie également. Une blague de très mauvais goût mais qui rappelle la toute-puissance des grands cerveaux du numérique.
Aux confins du métavers
Un peu plus loin, dans le Centre Ville, Read Write Own, la première exposition de Denny avec le centre d’art Dunkunsthalle, présente des peintures récentes de sa série Metaverse Landscape aux côtés de sculptures réalisées à l’aide de tableaux blancs vendus par Twitter, devenu X depuis son rachat controversé de Musk. Dans cet ensemble, le plasticien, dont les œuvres font partie de collections importantes (à Londres, Francfort, Bruxelles ou Los Angeles), rapproche à nouveau le monde du numérique des paysages fantastiques du Seigneur des anneaux ou encore de Donjons et Dragons, en insistant sur l’aspect « jeu de rôle » de ce dernier exemple. Pour lui, les réalités augmentées ou virtuelles ne sont ni plus ni moins que des évolutions de ces interminables parties de plateau, entre jeu et théâtre. Les nouveaux seigneurs sont ceux qui possèdent des terrains virtuels du métavers, et nous, pauvres gueux, tentons simplement d’y évoluer.