Parfois bling-bling, d’autres fois auteurs de textes taquinant sérieusement le capitalisme et les injustices sociales, les rappeurs ont toujours entretenu un rapport ambigu à l’argent. Avec l’avénement du Web3, se pose désormais la question de leur relation aux cryptomonnaies et aux NFT.
Si l’on a encore tendance à amalgamer Bitcoins et NFT, c’est en partie parce que ces deux innovations sont intimement liées, l’achat d’une œuvre d’art numérique se faisant via une transaction en cryptomonnaies. Par ailleurs, les NFT incarnent l’une des caractéristiques des cryptomonnaies. À savoir : leur extrême volatilité, avec des prix qui fluctuent à une vitesse vertigineuse.
Selon les indices à notre disposition, une chose est sûre : les rappeurs s’intéressent à cette tendance et lorgnent de près sur toute la crypto-industrie. Cette fascination se traduit même de façon très concrète – pensons ici à Niska, devenu premier ambassadeur de la plateforme Yadeck avec un jeu de cartes généré à son effigie aux côtés d’autres stars du genre. Reflet de la tendance spéculative des cryptos, la valeur et la rareté des cartes évoluent suivant les classements de leurs ventes.
Bitcoin et NFT : l’argent secret du rap français
Dernièrement, la nouvelle obsession des rappeurs s’est aussi exprimée dans leurs paroles. Depuis les blocs bétonnés du 91, Huntrill profite de son titre « Bitcoin » (qui suit celui au nom non moins évocateur « Rotschild flow », extrait de son album Replica) pour déclamer ceci : « Flemme de compter l’euro, j’veux mon salaire en bitcoin ». Toujours à l’affut de nouveaux investissements, Booba a été jusqu’à sortir son morceau « TN » sous la forme d’un NFT en 2021 – vendu à un prix astronomique (on dit que l’opération aurait pu lui rapporter près de 600 000 euros). Quant à L’Algérino, RK et Lynda, ils ont autorisé une start-up à numériser leur image afin de créer des concerts NFT.
En réalité, ces affinités ne sont pas surprenantes. L’auto-représentation du rappeur comme « self-made man », du cowboy qui avance en solitaire contre le système colle assez bien avec l’esprit crypto : s’affranchir du système bancaire, de l’industrie musicale, de la finance centralisée. Il y a aussi l’appât d’un gain record pour ceux qui n’ont parfois pas hésité à se faire les chantres de l’argent facile. Enfin, c’est un nouveau moyen de communiquer et renforcer les liens avec leur communauté de fans, qui converge avec le caractère populaire de leur musique.
Des gros poissons qui mordent à l’appât ?
D’après une analyse de la radio Mouv’, il est possible de voir ce phénomène du crypto-rap comme une « démocratisation du monde de la crypto » plutôt enthousiasmante. Dit autrement, ce serait là l’opportunité de rendre plus accessibles ces nouvelles technologies. Très bien, mais cela n’est-ce pas justement jouer le jeu d’un système qui se construit au détriment de ses joueurs, surtout les moins initiés ? Voici en tout cas l’idée défendue par Nastasia Hadjadji dans son livre No crypto. Interviewée par nos soins, celle-ci souligne que la crypto-industrie repose vraisemblablement sur la séduction permanente d’un pool de nouveaux adeptes qui viennent nourrir un monde financier vorace avec de nouvelles liquidités. On peut donc, au choix, se réjouir de ces oeuvres rap 3.0, ou bien tirer la sonnette d’alarme. Après tout, en adoptant une telle démarche, les rappeurs exposent leurs fans à un risque élevé : celui de perdre leur argent…
D’autres comme Lefa, ex-membre de la Sexion d’Assaut, se limitent au contraire à des références d’ordre plus poétique, citant le métavers comme métaphore de notre tendance accrue à être coupé de maux très réels, tels que le désastre écologique et les logiques néocoloniales.