Figure incontournable de l’art informatique, Tim Berresheim revisite l’histoire de l’art et réinvente le monde qui l’entoure, notamment grâce aux technologies numériques et à la 3D. Né en 1975 à Heinsberg, en Allemagne, et résidant à Aix-la-Chapelle, l’artiste visuel et musicien rayonne à travers le monde, tandis que ses œuvres ont depuis longtemps intégré les collections d’institutions prestigieuses, comme celles du MoMA (New York) et du Kunstpalast (Düsseldorf).
Lorsqu’il explique sa démarche ou clame son amour pour les outils informatiques, Tim Berresheim donne l’impression d’être à l’aise. À 50 ans, son discours est parfaitement rodé, sincère, descriptif. Ce qui l’incite à appuyer son propos par de petites notes d’humour. « Dans ma grotte numérique, je mets en scène diverses formes d’art. Je suis convaincu que l’ordinateur, en tant qu’écran de projection et outil, peut orienter notre réflexion dans une nouvelle direction, de la même manière que la hache a permis aux humains de quitter leur grotte », s’amuse-t-il.
Pour sortir de la sienne, l’artiste allemand a autrefois intégré la HBK Braunschweig (la Haute École d’arts plastiques de Brunswick). Il y étudie le cinéma, mais finit par s’intéresser davantage à l’image fixe. Avant de développer une véritable passion pour les ordinateurs et de se mettre à utiliser la machine pour créer des visuels qui n’appartiennent qu’à lui. « En 1999, les gens utilisaient les ordinateurs pour peindre ou créer des collages à plat, comme c’est encore le cas dans Photoshop. Cela ne m’intéressait pas, se rappelle-t-il. Dès le début, j’ai trouvé que la mise en scène dans un espace tridimensionnel était nettement plus fascinante. Je me suis alors lancé en autodidacte, à une époque où les tutos sur YouTube n’existaient pas ».
Un geste en 3D
Désormais expert en la matière, Tim Berresheim se plonge dans la 3D pour créer une œuvre protéiforme, allant de la photographie à la sculpture, en passant par l’installation immersive – sa « grotte numérique », comme il l’appelle. À l’intérieur, il explore les possibilités créatives intrinsèques à sa pratique artistique et noue un dialogue entre travail analogique et travail numérique, sans inviter l’IA à y participer ! Pour lui, l’ordinateur est un outil et rien de plus. Alors, autant s’en servir comme il l’entend : de préférence, chez lui, au service d’œuvres qui dépeignent notre présent, bien réel.
Dans sa série, initiée il y a 25 ans, de toiles abstraites, faites de résine et de pigments, évoquant de gros traits de pinceaux sur fond noir, Tim Berresheim s’interroge sur l’avenir de la peinture, après plusieurs millénaires de production d’images et de transmission picturale. « Les ordinateurs ne peignent pas, ils ont un rapport différent à ce médium que j’examine et interroge ici avec la 3D. Je ne peins pas avec une souris ». Vrai : Tim Berresheim crée plutôt des motifs avec des algorithmes, qui reproduisent le trait du pinceau et de ses poils naturels, en spécifiant les angles de courbure, les pointes fourchues, les boucles, les ondulations ou encore le degré de brillance. « Pour produire chaque toile de cette série, j’ai besoin de près de 90 Go de RAM afin que les rendus du pinceau et de ses poils conservent tout leur éclat ».
Créer une mémoire artificielle
Ainsi, à la dernière édition de Paris-Photo, Tim Berresheim dévoilait une partie de Douze maisons de mon temps, une nouvelle série réalisée en 3D, étonnante et consacrée à un pub, le Steffens Schänke. Tout commence en 2016, quand il achète un scanner laser. Il se convainc de pouvoir capturer le réel comme il le ferait avec un appareil photographique. Cette année-là, il retourne sur les lieux qui ont compté pour lui. Ce pub en fait partie. Alors, il le scanne et en conserve les données sur son disque dur pendant huit ans.
« L’année dernière, lors de ma grande rétrospective au NRW Forum Düsseldorf, intitulée New Old World, je me suis scanné entièrement à l’aide de la photogrammétrie afin de créer une copie numérique de moi-même, précise-t-il. Avec cette copie, je peux me mettre en scène en tant qu’acteur dans autant de scènes que je le souhaite. Dans cette série, vous pouvez voir comment je me positionne rétrospectivement en ces lieux qui n’existent plus, mais que j’avais scannés, créant ainsi une mémoire artificielle ». Cette série fait écho à celle des gravures de Gerd Arnt Douze maisons du temps, soit douze maisons de son temps !
Un portail entre le numérique et le réel
Après avoir exploré la 3D sous la forme de photographie, de sérigraphie et de réalité augmentée, Tim Berresheim s’interroge : « De quelle manière le numérique peut-il se révéler dans le monde réel ? ». Après deux ans de réflexion et de recherche, voilà qu’il le fait surgir à Hangzhou en Chine, en 2020, sous la forme d’un portail. Soit une sculpture en laiton fritté au laser de trois mètres sur quatre. Le message est clair !
Pour ses expositions, toutes immersives et agrémentées de musiques et de bandes sonores, Tim Berresheim construit des espaces comme un tout, en tissant des liens narratifs entre réel et virtuel, 2D et 3D. « Pour ma dernière exposition au NRW Forum, j’ai même travaillé pendant deux ans avec le Land de Bade-Wurtemberg, qui m’a ouvert les portes de sept grottes préhistoriques que j’ai scannées et ensuite présentées sous forme de grandes installations murales ». Ainsi, Tim Berresheim vise à combler le vide entre l’art analogique et l’art numérique, comme les archéologues tentent de le faire entre deux époques qui se rencontrent, mais qui ne laissent derrière elles aucun artefact commun.