Symbole d’un spectacle vivant toujours plus intéressé par les possibilités offertes par le virtuel, Tsirihaka Harrivel présentait il y a quelques mois au CENTQUATRE-PARIS, Arcade | Sentimental, une installation performative et conceptuelle où « l’aspect numérique constitue le cerveau du dispositif sans réellement être visible ». Explications.
Acrobate, circassien, compositeur, mais aussi créateur et metteur en scène. Discuter avec Tsirihaka Harrivel, ce n’est pas simplement échanger avec un touche-à-tout. C’est aussi faire face à un artiste aussi inclassable que réservé. Du moins, lors des premières minutes. Car le Français, passé par le Centre National des Arts du Cirque et le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, ne semble avoir au fond qu’une obsession : dialoguer. Tout son travail témoigne en effet d’une volonté d’établir un échange, entre son éternelle associée Vimala Pons et lui, entre ses réflexions gnostiques et les mouvements de son corps, entre l’homme et la machine.
« Je vois vraiment l’utilisation des nouvelles technologies, non pas comme une façon de libérer le corps, mais bien de l’amplifier, de lui permettre de dépasser certaines limites, d’envisager la performance physique autrement », raconte-t-il, la voix posée, réfléchie, avant de confier s’être encore plus investi dans le numérique depuis sa blessure, survenue il y a six ans suite à une chute de huit mètres. « J’ai désormais 40 ans, et c’est une fatalité : je commence à avoir épuisé toutes les capacités physiques nécessaires à mes performances. D’où l’envie de représenter mon corps autrement, sans pour autant que mes projets soient essentiellement basés sur des vidéos – ce qui, avouons-le, n’aurait rien d’original en 2023. L’idée, c’est plutôt de perpétuer cette relation avec la machine tout en continuant d’ancrer mes performances dans quelque chose de très humain, de très émotif, ne serait-ce que pour ne pas tout abandonner aux nouvelles technologies. »
Curiosité numérique
À l’entendre, Tsirihaka Harrivel n’a pas tout de suite été « contaminé » par le numérique. En 2006, lorsqu’il débute le cirque, ces outils virtuels n’existent pas encore, ou se tiennent encore à l’écart du spectacle vivant. Dès 2010, pourtant, Vimala Pons et lui intègrent les musiques électroniques dans leurs performances, intéressés par la possibilité de se familiariser avec des logiciels de création tels qu’Ableton ou des contrôleurs midi. « À partir de ce moment-là, poursuit-il, le monde numérique a commencé à prendre toujours plus de place dans mes réflexions. Les technologies se sont démocratisées, elles se sont mises à définir l’esprit du temps, et j’y ai vu l’opportunité de prolonger mon corps, de penser autrement la mise en scène. »
Cette prise de conscience va impacter directement l’un de ses spectacles (La dimension d’après, daté de 2021), où Tsirihaka Harrivel se joue du vertige et du risque physique que le cirque implique pour développer une scénographie caractérisée par une vidéo de chute, un écran qui tombe et un détournement de séquenceurs dédiés à la musique électronique. En lien avec le CENTQUATRE-PARIS, le Français va même encore plus loin via le cycle Arcade | Sentimental. Un spectacle sans acteur, ni actrice ? Oui, en effet. Un ensemble d’installations immersives à la frontière des jeux d’arcade, des jeux de massacre, de l’agrès de cirque et de la voyance ? Oui, c’est l’ambition.
La confusion des sentiments
Sur la forme, Arcade | Sentimental se déploie via sept installations aux scénographies et machineries propres (animation virtuelle, prise de vue réelle, dispositifs mécaniques), dans lesquels le spectateur est invité à entrer, à presser le bouton et à crier le plus fort possible. « Je tenais à ce qu’il y ait de l’interaction avec les spectateurs, qu’ils soient pleinement intégrés au dispositif. L’idée, c’était de faire de ces derniers des acteurs à part entière du spectacle, mais aussi de rappeler à quiconque que nos actes peuvent changer les choses, ou du moins participer à une prise de conscience personnelle ». En sous-texte, on comprend ainsi que Tsirihaka Harrivel avait ici en tête le rôle essentiel du spectateur dans une pièce de théâtre, sa présence permettant à chaque performance de faire œuvre.
Grâce à Arcade | Sentimental, l’artiste transdisciplinaire a surtout mis les pieds dans un nouveau monde, aux croisements des cultures numériques, dont il découvre peu à peu les coulisses, artistiques et économiques. « Ça peut être perturbant d’arriver dans un domaine où plus personne ne te connaît, où il y a parfois également moins de financement que dans le théâtre. »
On ne se fait toutefois pas d’inquiétude pour Tsirihaka Harrivel : outre sa collaboration avec le CENTQUATRE-PARIS, le Français a déjà un tas d’autres projets en tête, et dit n’en avoir pas encore fini de questionner le corps via les nouvelles technologies, de le faire réagir en fonction des vibrations des machines. « Pour illustrer mon propos, j’aime prendre l’exemple du jukebox, conclut-il, l’air sourieur, presque gêné d’utiliser perpétuellement la même analogie. Il suffit de mettre une pièce dans cette machine pour qu’une musique soit diffusée et incite la personne à danser. C’est pour moi la parfaite illustration de cette relation féconde entre l’être humain et la machine. »