Jusqu’au 8 février, Fisheye Immersive profite de chaque samedi pour mettre en valeur le travail de trois artistes voués à marquer 2025 de leur empreinte. Pour ce quatrième épisode, focus sur Tao Hui, Nicolas Gourault et Esther Denis.
Tao Hui (1987)
Né en 1987 à Yunyang, une subdivision de la municipalité de Chongqing en Chine, Tao Hui se fait rapidement remarquer après l’obtention en 2010 de son baccalauréat à l’Institut des Beaux-Arts du Sichuan grâce à ses installations vidéo immersives. Repoussant les limites de la fiction pour brouiller les contours de la réalité, cet artiste des nouveaux médias, dont certaines œuvres font partie de la collection de la Fondation Louis Vuitton, imagine dans chacun de ses travaux des paysages absurdes et surréalistes, avec une attention tout particulièrement mise sur les luttes des populations marginalisées. Mêlant peinture, sculpture, son et installation vidéo, Tao Hui invite les spectateurs à interroger le développement social de son pays, de préférence sur le plan écologique et industriel.
Ces diverses obsessions thématiques, on les retrouve au sein de son premier solo show à Hong Kong, à la Tai Kwun Contemporary (In the Land Beyond Living), dans lequel l’artiste mise sur des compositions plutôt froides pour matérialiser la solitude et l’isolement de différentes populations chinoises, des travailleurs migrants aux accros aux réseaux sociaux.
On y découvre par exemple Chilling Terror Sweeps the North (2024), une installation vidéo à deux canaux de 26 minutes hébergée au sein d’une structure en plexiglas et mettant en scène deux amoureux qui vivent leur histoire à distance : l’un est installé dans le nord-ouest du pays, l’autre dans le sud-ouest. Autre région, autre réalité sociale, mais les deux protagonistes tentent malgré tout de rester soudés, permettant à Tao Hui de dépeindre avec une certaine forme de romantisme les inégalités en cours au sein d’un même pays. Entre aliénation et division de classe, le portrait de la Chine par Tao Hui n’est définitivement pas gai. Mais fondamentalement précieux.
Esther Denis (1996)
Originaire de Belgique, Esther Denis est à la fois plasticienne et scénographe, diplômée de l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles et de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Passionnée par le théâtre et les arts vivants en général, la jeune femme découvre le plaisir de la scène alors qu’elle est encore enfant. Membre du Chœurs d’Enfants de la capitale belge, Esther Denis se produit notamment sur le plateau de La Monnaie à Bruxelles et fait la rencontre de nombreux metteurs en scène, de Guy Joosten à Romeo Castellucci, en passant par Valentina Carrasco. Cette expérience extra-scolaire lui donne des idées et nourrit en elle le désir de poursuivre son apprentissage au sein des arts de la scène.
Pour ce faire, celle qui était récemment exposée dans le cadre de la Biennale Chroniques développe une approche pluridisciplinaire, presque par instinct. En reliant art, science et technique, Esther Denis propose une réflexion sur le vivant et ses différents modes de représentations visuelles, qu’ils soient plastiques, scéniques, ou les deux. Une approche hybride également perceptible au sein de son processus créatif, caractérisé par l’exploration de plusieurs médiums : de la vidéo à la création sonore et olfactive, de la chorégraphie à la taxidermie, l’artiste multiplie les champs d’action afin de créer la composition parfaite, celle qui, à force d’entremêlements, parvient à se situer au plus proche de la complexité du vivant.
De cette vision naît par exemple L’étant, sa première installation immersive successivement exposée à la Grande Halle de La Villette à Paris (2021), aux Serres de Pantin et au Teatros del Canal à Madrid (2022), au Point Commun – espace d’art contemporain (2023) et au Centre Wallonie-Bruxelles/Paris dans le cadre de la Biennale NOVA_XX (2024). Tout entier centré autour du « miroir noir », un petit objet optique teinté de noir très prisé par les artistes et les promeneurs de la fin du XVIIIe siècle, son travail met en scène le réel, joue sur les représentations et finit inévitablement par mettre en lumière les multiples obsessions d’Esther Denis, indexées comme dit plus haut aux questions liées à l’histoire, aux sciences et à l’art.
Nicolas Gourault (1991)
Formé à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy (ENSAPC), à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), ainsi qu’au Fresnoy, Studio national des arts contemporains, Nicolas Gourault est à la fois praticien et théoricien. Une double-casquette assumée dans son travail où se mêlent expression visuelle et critique des médias. Pour embrasser cet aspect unique de sa pratique et mettre en lumière les différentes formes d’altérité au sein des espaces contrôlés, l’artiste français s’intéresse notamment à la simulation et à la modélisation 3D.
Cet intérêt l’a notamment amené à se tourner vers des logiciels déjà existants de contrôle des foules. Dans son œuvre produite avec Le Fresnoy, This Means More (2019), Nicolas Gourault croise ainsi les témoignages de supporters de l’équipe de football Liverpool FC avec des outils de représentation des foules pour parler des tragédies survenues dans le cadre de rassemblements sportifs. Ce n’est là qu’un exemple des nombreux mérites qui sous-tendent son travail, mais celui-ci illustre à la perfection l’approche de l’artiste et réalisateur : ici, la technologie de simulation devient un outil mis au service de l’exploration de la mémoire humaine.
Ouvertement critique, tout comme Unknown Label, un projet documentaire expérimental autour des taxis autonomes réalisé à l’aide d’une IA, This Means More met en évidence les failles du désir de contrôle, de l’ultra-encadrement des infrastructures, qui peuvent finalement représenter un danger, à travers une approche rendue nécessaire grâce à une vision singulière, la fois analytique et distanciée.