À Metz, le festival Constellations tutoie les étoiles

À Metz, le festival Constellations tutoie les étoiles
“Black Out In Variations” ©Constellations/Philippe Gisselbrecht/Ville de Metz

Jusqu’au 31 août 2024, Metz vit la nuit, éclairée seulement à la lumière des œuvres d’art programmées par le festival Constellations, dont la huitième édition invite à plusieurs déambulations urbaines autour d’un thème lourd de sens, « Espace(s) libres ». 

« Le festival international Constellations de Metz est intimement lié à la ville, qui inspire nombre d’artistes internationaux et nationaux, mais également des artistes locaux, eux-mêmes originaires de la ville. Le temps d’un été, ils investissent l’espace public et urbain tantôt pour questionner le spectateur sur son environnement, tantôt pour proposer de nouvelles perspectives et points de vue. » C’est à travers ces quelque mots que François Grosdidier, maire de Metz, introduit la huitième édition du festival messin. Un événement en trois temps qui invite quiconque à ne pas aller se coucher une fois les musées et parcs fermés, bien au contraire ! Si les deux parcours diurnes « Art & Jardins » et « Art urbain » permettent de découvrir différentes formes d’art sous le soleil de l’Est, la création numérique, elle, s’expose la nuit.

À considérer comme un tout, le festival utilise le patrimoine comme toile de fond, et rend hommage au caractère avant-gardiste de la cité, capitale de l’écologie urbaine affiliée au label Arts & Tech. Une identité à laquelle les 56 artistes invités (dont 30 internationaux) ont voulu rendre hommage, quelque soit leurs médiums. Exposé à la galerie de l’Arsenal, ainsi que dans la cour de l’agence Herbeth Immobilier, le street-artiste RERO associe par exemple buste en marbre classique et erreurs de code informatique. Au passage, il souligne : « Pour cette sculpture d’Antoine Coypel, j’ai réfléchi à une pièce qui pouvait faire le lien avec le numérique ». Une belle introduction au spectacle nocturne qui se déroulera bientôt sous les yeux ébahis des nombreux visiteurs attendus cette année. 

Oh Lord !, de Guillaume Marmin ©Constellations/Philippe Gisselbrecht/Ville de Metz

Questionner les environnements transcendantaux

Commissaire du festival depuis 2019, le spécialiste de l’art numérique Jérémie Bellot nous invite ici « à une exploration » en 17 œuvres disséminées dans toute la ville. Il précise : « Une exploration non seulement de l’espace au sens astrologique du terme, mais également des espaces que nous habitons, de notre patrimoine architectural et urbain que nous revendiquons, que nous sanctifions, que nous défendons. Les œuvres présentées se veulent être des reflets, des questionnements, et peut-être même des réponses aux dilemmes qui surgissent lorsque nous contemplons l’énigme de la liberté. » Peut-être un poil trop rêveur pour certains, ce discours se révèle néanmoins essentiel à l’heure où les libertés individuelles et collectives semblent de plus en plus menacées.

JérémieBellot
« Les œuvres présentées se veulent être des reflets, des questionnements, et peut-être même des réponses aux dilemmes qui surgissent lorsque nous contemplons l’énigme de la liberté. »

La réflexion commence une fois la nuit tombée, dans un espace métaphysique, « où l’on retrouve les concepts d’infini, mais aussi de divin, qui s’épanouissent dans une liberté sans borne, une transcendance au-delà de notre compréhension matérielle », détaille le commissaire. Ainsi, direction l’Église des Trinitaires, où l’on découvre l’installation Oh Lord de Guillaume Marmin qui pose l’astre solaire au rang divin via une étoile cristallisant à la fois nos craintes et nos espoirs. « C’est le fondement de nos sociétés, de nos philosophies, de nos croyances, donc c’est un vaste champ. Et puis aujourd’hui, à l’heure des questions sur les énergies, c’est aussi quelque chose vers lequel on se tourne pour trouver des solutions », ajoute l’artiste numérique, qui se réjouit de son deuxième passage à Metz. Dans la même veine, le collectif 804 invite également à se poser des questions existentielles. Une, précisément : que ferions-nous s’il ne nous restait qu’une heure à vivre ? À travers une danse extatique présentée sous le Dôme de la Place de la Comédie, les performeurs interrogent ainsi notre dernière heure sur Terre, jouant avec les projections de l’artiste génératif Desaxismundi. 

Glass Box, Filip Roa & Zarko Komar ©Constellations/Philippe Gisselbrecht/Ville de Metz
Glass Box, Filip Roa & Zarko Komar ©Constellations/Philippe Gisselbrecht/Ville de Metz

Tout aussi abstrait, l’espace cosmique est également investi par les artistes numériques. « Dans cet espace, la liberté semble être la plus authentique, mais elle est aussi menacée par des ambitions matérielles et territoriales. Il s’agit d’un espace que l’on considère comme libre, mais qui ne l’est finalement pas tant que ça », souligne Jérémie Bellot. Dans ce contexte se déploie l’œuvre laser ETHER de Gregory Wagenheim, une acquisition de la région projetée sur la façade de l’Hôtel de la Région dans l’idée d’invitr à une réflexion sur l’espace, celui qui nous échappe, celui que nous ne savons pas décrypter et qui pourtant alimente notre imaginaire.

Rêver du réel

Si ces premiers espaces semblent intangibles, d’autres « zones » sont quant à elles bien plus palpables. « Le festival nous permet de redécouvrir l’espace public, ce lieu qui est quelques fois dépourvu de son caractère public, notamment via ses bais de propriété, alerte le commissaire d’exposition. C’est une nouvelle manière d’appréhender l’architecture, d’arpenter l’espace, de révéler notre patrimoine architectural, par la lumière, par l’image, par le son et par des actions picturales. » Le plus facile à appréhender est probablement l’espace physique, où les corps et les objets résident, celui que nous exploitons à chaque minute. Un espace où la limite entre intérieur et extérieur est habituellement bien définie, mais que le vidéo-mapping Glass Box de Filip Roca et Zarko Komar se plaît à remettre en question.

JérémieBellot
« C’est une nouvelle manière d’appréhender l’architecture, d’arpenter l’espace, de révéler notre patrimoine architectural, par la lumière, par l’image, par le son et par des actions picturales. »

Au cœur de la vieille ville, la façade de la cathédrale Saint-Etienne se transforme à travers deux spectacles son et lumière jouant sur la transparence et rendant hommages aux emblématiques vitraux de l’édifice, renommé « lanterne du Bon Dieu » en raison de ses 6 500 mètres carrés de vitraux (ce qui fait de lui l’un des bâtis les plus vitrés du monde chrétien). Un désir de brouiller les frontières que l’on retrouve également dans l’installation immersive Alcove LTD, illuminant le jardin Fabert, ou dans Fragments, qui résulte d’une collaboration entre un artiste visuel (sedemminut) et des artistes sonores (NIID), et présente des portes incertaines dans la Cour de la Conservation du Musée de la Cour d’Or. 

Alcove LTD, Encor Studio ©Constellations/Philippe Gisselbrecht/Ville de Metz

Comment parler d’espace dans un contexte politique comme le nôtre sans citer l’espace social ? « Dans cet espace social, les notions de liberté se manifestent dans nos interactions, dans nos droits, dans nos voix, et sont souvent mises à l’épreuve par des structures de pouvoir et de propriété, explique Jérémie Bellot. Je pense à l’œuvre Mash qui crée une réponse entre la Russie et l’Ukraine nous montrant à quel point nos libertés sont fragiles, à quel point il est nécessaire de les défendre afin de ne plus entendre résonner le bruit des bottes. » Trônant dans le Jardin d’amour du Temple neuf, cette matriochka XXL signée Marek Kvetàn, Anton Dehitiarov et Svitlana Reinish fait le lien parfait entre onirisme, déconnexion et ancrage profond au sein même d’une actualité qui fait froid dans le dos.

Cette ambivalence, on la retrouve également sous la nef de la Basilique Saint Vincent, en admirant la sculpture cinétique et lumineuse monumentale Oiseau de passage. Signé du studio Luminariste, cet instant de poésie évoque la liberté d’un volatile modifiée par la présence humaine, mais aussi, par extension, les différents flux migratoires bien plus contraints des hommes eux-mêmes. « Avec cet Oiseau de passage, on espère pouvoir accueillir de nombreux oiseaux de passage cet été à Metz », sourit malgré tout Jérémie Bellot. De notre côté, on ne peut que vous encourager à vous rendre dans le Grand Est pour passer les vacances, et apprendre à (ré)appréhender l’espace, autrement.

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