Jongleur hors pair, Adrien Mondot vient de l’informatique, la scénographe Claire Bardainne du design graphique. Leurs routes se croisent en 2010 et donne rapidement naissance à la compagnie Adrien M & Claire B., fondée un an plus tard. Seuls ou en collaboration avec d’autres artistes, comme le chorégraphe Mourad Merzouki ou le collectif Brest Brest Brest, ils créent des spectacles et des installations mêlant artisanat et dispositifs numériques, grâce à des outils informatiques développés sur mesure, sans pour autant oublier l’humain et le corps, perpétuellement au centre de leurs préoccupations. Rencontre.
Tour à tour poétiques, métaphysiques ou purement divertissantes, voire les trois à la fois, les œuvres d’Adrien M & Claire B. sont parfois upgradées et tournent régulièrement à travers la France, notamment Dernière minute (2022), une expérience sensorielle et onirique actuellement aux Franciscaines, à Deauville ; ou encore Faune, qui a investi le Lycée Jacques-Decour le temps du festival Paris l’été. Très bien, mais que sait-on réellement de la nature même de ces différents projets, de leur ambition, de leur processus créatif ? Claire Bardainne nous dit tout !
Votre démarche est claire : mettre les outils informatiques au service de l’émotion. Sachant cela, quelle place occupe la technologie au sein de votre processus créatif ?
Claire Bardainne : Nos projets reposent essentiellement sur les outils numériques qui sont incontestablement nos outils de prédilection. Adrien étant informaticien, nous les développons sur mesure. C’est notre particularité, voire notre signature. Mais notre projet global ne se résume pas à ça. Il est plus large, l’idée étant de susciter le rêve. Ainsi, les outils numériques ont beau être particulièrement efficaces, ils ne sont pas une finalité. Avec Adrien, nous sommes vraiment affiliés au théâtre et au spectacle vivant, les machines que nous utilisons sont donc au service d’expériences fortes et symboliques. Celles-ci peuvent prendre la forme d’installations, de pièces de théâtre, de performances ou de livres en réalité augmentée. L’objectif est vraiment de susciter des émotions.
À l’exception de Mirages & miracles (2017), vos installations font peu appel à des casques VR. En revanche, vous avez tendance à les utiliser pour modéliser vos espaces de création. Pourquoi ?
Claire Bardainne : Nous essayons d’être techno-critique et de bien comprendre les sujets avant de s’en emparer. Nous n’utilisons pas les derniers casques VR dans la création de l’œuvre à part entière, mais bien comme un outil de conception, pour modéliser tous les espaces dans lequel nous allons produire une scénographie, afin de ne pas avoir à nous déplacer. Il faut bien comprendre que nous sommes issus d’une culture du spectacle vivant, et que nous communiquons donc le plus régulièrement possible à partir d’images dans un espace réel.
« Nous sommes vraiment affiliés au théâtre et au spectacle vivant, les machines que nous utilisons sont donc au service d’expériences fortes et symboliques. »
Dans Pixel (2014), un spectacle au sein duquel onze protagonistes évoluent sur scène dans un environnement en trompe-l’œil, ou dans Hakanaï (2013), une performance où une danseuse évolue dans un cube d’images en mouvement, les artistes semblent interagir avec le décor, et inversement. S’agit-il d’une réelle interaction ou d’une illusion ?
Claire Bardainne : Pour nos spectacles, nous travaillons un peu comme avec des marionnettes numériques. On crée une illusion d’interaction, en partie car les capteurs n’étaient pas assez efficaces à cette époque. Du moins, à notre échelle de moyens, qui est celle du spectacle vivant. Pour ces spectacles, des régisseurs numériques suivent les danseurs à la main et animent en temps réel les images, en fonction de leurs mouvements. Ce dispositif est aussi celui qui sonne le plus juste. Ceci étant, au sein de nos installations autonomes et plus récentes, comme Dernière minute (2022), nous avons un réseau de capteurs infrarouges qui identifie la présence et le mouvement du public afin de permettre une interaction immédiate et automatique. Dans les deux cas, rien n’est enregistré à l’avance. Les images de synthèse sont générées en temps réel. C’est de l’art génératif.
Pixel est un spectacle essentiellement divertissant et, en ce sens, parfaitement efficace, tandis que Dernière Minute est davantage une installation métaphysique très intime sur la perte d’un proche. Avec le temps, souhaitez-vous tendre vers une production plus profonde, disons spirituelle ?
Claire Bardainne : On passe de l’un à l’autre, du plaisir ludique à des réflexions plus métaphysiques. L’un et l’autre ont leur place dans notre travail. Car, oui, notre objectif est aussi de faire passer des valeurs ou des messages à travers des projets métaphoriques. Dans Pixel, les questions du trompe-l’œil, du trouble, du point de vue ou de la perspective sont abordés de manière très ludique et jouissive, mais ces questions restent passionnantes. Je suis très sensible à la culture et à l’art populaire, même si la culture de masse me pose davantage de problèmes, dans le sens où elle érode tout. Dans nos projets, nous créons donc des situations où les gens se retrouvent ensemble. Ils participent au même événement, mais avec un vécu différent : en se racontant une histoire, en observant un point précis, en se positionnant à tel endroit…
Aujourd’hui, la compagnie Adrien M & Claire B compte quatorze projets à son actif, êtes-vous en train de travailler sur un nouveau ?
Claire Bardainne : Un futur projet verra le jour à la Philharmonie de Paris, à la Cité de la Musique plus exactement, en février 2024. Il s’agit d’une installation immersive de quarante minutes qui s’inscrit dans la lignée de Dernière Minute, et dont la musique sera signée Laurent Bardainne. Il s’agira d’une expérience rituelle autour de la régénération de l’amour – un programme ambitieux. Certaines personnes sont persuadées qu’il faut aller sur Mars. Nous, nous sommes convaincus qu’il faut partir en amour.