Avant de s’imposer dans les musées, l’art numérique trouve sa source dans les bibliothèques. « Book Club » revient sur ces livres essentiels des mouvements créatifs explorant les liens avec les nouvelles technologies. IA, métavers, réalité augmentée… Ces auteurs traitent de tout ! Aujourd’hui, focus sur Infinite Memory, première monographie des artistes Caroline Poggi et Jonathan Vinel.
Les auteurs
L’un est né à Toulouse, en 1988, et a étudié le montage à la Fémis. L’autre est née à Ajaccio, en 1990, et a étudié à Paris IV, puis à l’Université de Corse (diplôme CREATACC). C’est précisément à ce moment-là, lors de leurs parcours universitaires, que Jonathan Vinel et Caroline Poggi se rencontrent. On est alors au début des années 2010, les deux comparses ont déjà réalisé des œuvres visuelles chacun de leur côté, mais l’envie d’écrire des films à quatre mains se fait rapidement sentir. C’est là le meilleur moyen d’apporter un peu de profondeur, de traiter les sujets autrement, mais aussi de faire dialoguer les idées. Avec réussite : en 2014, Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, leur premier court-métrage est primé Festival du Film de Berlin. Depuis, d’autres projets ont vu le jour, d’autres distinctions sont venues certifier leur singularité (au Locarno Film Festival, au Champs-Élysée Film Festival, à la Quinzaine des Cinéastes à Cannes), encourageant le duo à aller toujours plus loin dans sa démarche et son propos, à distance exacte entre le cinéma, l’art immersif et l’univers vidéoludique.
Le pitch
Publiée à l’occasion de la sortie du deuxième long-métrage du duo, le fabuleux Eat the Night, cette première monographie, éditée par Béatrice Grenier, est avant tout pensée comme un objet à part entière, relié en spirale, ce qui lui permet par ailleurs d’avoir ni début, ni fin. À mi-chemin entre le livre d’archives et le livre d’art, Infinite Memory s’attèle à traduire toute l’étendue du champ d’action de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, ainsi que l’ensemble des médiums explorés par le couple d’artistes. Ponctué d’essais d’Alenda Y. Chang, de Béatrice Grenier et d’Ingrid Luquet-Gad, l’ouvrage offre une analyse approfondie d’un duo qui cultive l’ambiguïté quant à la nature même de son cinéma : à quel point l’imagerie du jeu vidéo influence-t-elle la narration de Eat The Night ou La fille qui explose ? Comment définir la relation entre les personnages numériques et les personnages « réels » au sein de ces différents films ? Comment parvenir à créer un cadre lorsqu’une pratique créative englobe à ce point une variété de techniques ?
Notre avis
Le risque d’un tel ouvrage aurait pu être de se focaliser sur des artistes encore jeunes. Pourtant, en convoquant des spécialistes afin de parler de l’apport de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (au cinéma, à la création numérique, mais aussi à l’art contemporain), Infinite Memory passe de la jolie petite monographie à un essai documenté sur une nouvelle forme de cinéma. Dans un entretien avec le journaliste et critique Philippe Azoury, le duo réfléchit par exemple au rôle de la construction de communautés à l’intérieur et à l’extérieur de ses films, débat sur l’importance du jeu dans son travail et élargit son propos à la place des mondes vidéoludiques au sein de la société. Une réussite ? Plus que ça : une nécessité !