Formé au dessin et à l’animation, Boris Labbé décline ces dernières années son talent dans des mappings ou des œuvres en VR, ce « média caméléon » qu’il se réapproprie avec talent sur Ito Meikyū. Alors qu’il vient de remporter le Grand Prix du NewImages Festival, quelques mois après celui de Venice Immersive, l’artiste français détaille les coulisses de son travail, et son attrait grandissant pour les œuvres en 360°.
Je sais que tes projets artistiques impliquent beaucoup de travail. Rhizome, par exemple, a nécessité un an de réflexion et de production. Combien de temps t’a-t-il fallu pour finaliser Ito Meikyū ?
Boris Labbé : Les projets d’animation sont toujours pour moi un long processus de maturation et de réalisation, et c’est encore plus le cas quand cela inclut de l’animation de dessin traditionnel (sur papier). J’ai commencé l’écriture de Ito Meikyū en 2021. Ensuite, il m’a fallu du temps pour trouver la bonne forme du projet, aussi bien esthétiquement que techniquement, mais aussi pour rassembler tous les financements nécessaires. Pour ce projet, j’ai notamment conçu deux prototypes – le premier n’était pas probant -, puis, quelques mois plus tard, j’ai démarré la réalisation, ce qui m’a aussi pris une bonne année. Si le numérique peut permettre d’aller plus vite dans certains cas, ici, c’est plutôt le contraire… Par exemple, ça aurait été beaucoup plus simple et plus rapide de faire un film 2D avec peu de technologie. Il faut dire aussi que Ito Meikyū est mon premier projet VR, ce qui implique beaucoup d’apprentissage et de tâtonnement.
J’imagine que la VR et la 3D forment un terrain de jeu formidable pour un dessinateur de formation. Qu’est-ce que ces technologies amènent à ton travail, en termes de narration et de rendu ?
Boris Labbé : C’est vrai, la VR et la 3D sont un vrai terrain de jeu. À l’instar de la XR, ce sont des nouveaux médiums qu’il faut savoir apprivoiser. Ce n’est vraiment pas pareil que de faire un film… Avec Ito Meikyū, j’ai joué sur la relation entre différentes techniques et esthétiques qui sont parfois difficiles à marier : la 2D traditionnelle et la 3D. Pour ce faire, j’ai travaillé mes scènes selon des points de vue fixes et un système de multi plan 2D, ce qui pourrait s’apparenter à de petits théâtres, des dioramas. En VR, on peut jouer sur de nombreux aspects qui n’existent pas dans d’autres médiums : la stéréoscopie, l’immersion 360°, le temps réel, l’interactivité, la place du corps de l’utilisateur, le son VR, la non-linéarité…
Pour moi, ça a été difficile de renoncer à certaines choses du cinéma (le timing, le montage, le cadre…), mais ça a été une belle opportunité d’exploration et de remise en jeu du processus créatif. J’ai aussi réalisé une sorte de rêve en créant une œuvre qui soit différente pour chaque utilisateur : une sorte de labyrinthe qui ne peut pas être parcouru en une seule fois, par une seule personne… En cinéma, cela n’existe pas.
Dans la plupart de tes vidéos, on retrouve cette idée de boucle, comme s’il n’y avait ni début, ni fin. L’idée est-elle de favoriser un état contemplatif, de proposer des œuvres qui soient moins intelligibles que sensitives ?
Boris Labbé : Il y a beaucoup de manières de rendre la boucle intéressante dans un monde animé. Cette idée, on la retrouve d’ailleurs dès les origines du cinéma si on prend en compte ses prémices (phénakistiscope, zootrope et autres inventions optiques…), mais elle revient aussi dans de nombreuses cultures et mythes (l’Éternel retour). En cela, c’est devenu une signature esthétique et conceptuelle pour moi. D’un point de vue artistique, c’est aussi une manière de proposer une certaine synthétisation et une densité des images proposées au public.
C’est également une manière de parler par les sens, la sensation, plus que par l’intelligible : je refuse de prendre les spectateurs par la main, de devoir tout expliquer. Je considère que chaque spectateur peut avoir sa propre vision, sa propre interprétation de l’œuvre. Il y a aussi des choses que je fais, en tant qu’artiste, qui ne sont même pas intelligibles complètement pour moi : si on contrôlait tout et qu’on savait tout sur tout, est-ce que le désir de créer serait encore là ?
- Cette interview est initialement parue dans le numéro 35 de notre newsletter éditoriale.