À la confluence de la recherche artistique et scientifique, l’exposition Cerveau Machine, qui se tient au Cube Garges, interroge notre rapport aux nouvelles technologies et à la façon dont elles influent sur nos comportements. Au point de redéfinir l’humain dans un avenir proche ? Tout au long de ce parcours fascinant, une quinzaine d’artistes apportent des éléments de réflexion !
Si l’intelligence artificielle fait aujourd’hui débat, les artistes l’intègrent de plus en plus dans leurs pratiques, rappelant bien souvent que nous l’avons faite à notre image. L’intérêt de ces derniers pour les nouvelles technologies, et la façon dont elles engendrent certaines mutations chez l’humain, ne date de toute façon pas d’hier, comme le montre l’exposition gratuite Cerveau Machine.
Nichée dans l’immense hall d’accueil un peu brillant du Cube Garges, elle s’ouvre sur What Shall We Do Next ? (2014) réalisée par Julien Prévieux : depuis 2006, l’artiste pluridisciplinaire recense des gestes quotidiens que nous poussent à exécuter les machines et les appareils électroniques, à l’instar du « slide-to-unlock » (glisser pour débloquer) breveté en 2011 par Apple (mais invalidé dans certains pays, type l’Allemagne). Dans sa vidéo, six performeurs incarnent ainsi ces gestes dans une chorégraphie de l’absurde qui pourrait bien donner à voir nos comportements futurs.
Pionnier du Cyborg Art, Neil Harbisson va plus loin. Atteint d’achromatopsie, une pathologie oculaire se traduisant par l’absence de perception des couleurs, l’artiste britannique les traduit en son grâce à une antenne implantée au sommet du crâne en 2004 lui permettant de les entendre – fait extrêmement rare, cette antenne figure sur la photographie de son passeport, ce qui acterait pour certain.e.s la reconnaissance officielle de Neil Harbisson en tant que cyborg. Aujourd’hui, en partenariat avec Pol Lombarte, autre cyborg, il présente Sonochromatique (2023), une installation ludique qu’ils sont venus installer eux-mêmes : un piano produisant du son et des couleurs par le biais de lampes, et permettant ainsi au visiteur de faire le chemin inverse de Neil Harbisson, du son vers la couleur.
Espace mental
L’intérêt de Cerveau machine se trouve également dans son parcours, très pertinent, qui montre comment les artistes parviennent à tisser des liens très proches, parfois intimes, avec la machine, sans forcément faire corps avec. Pour son œuvre Spider and I (2020), Fabien Zocco s’est ainsi équipé, le temps de l’exposition, d’un bracelet connecté analysant ses signaux biométriques retranscrits in situ par un hexapode. Soit un robot à six pattes évoquant une grosse araignée mécanique et réagissant par des mouvements à l’état de calme ou d’agressivité du jeune artiste français.
Quant au studio Mentalista, dirigé par Bastien Didier, il exploite les capacités cérébrales du cerveau et présente Mental Garden (2022), une installation dite neuro-interactive qui, sous la forme d’une capsule, invite le visiteur à se remémorer un souvenir tout en posant sur son front un bloc collectant ses ondes cérébrales, traduites par la machine en fleurs numériques afin d’alimenter une blockchain écologique. Tout un concept.
Des expériences ludiques, Cerveau machine n’en manque pas. Strands of mind, ce film VR réalisé en 2021 par Adrian Meyer, en atteste et se révèle être de toute beauté. À l’opposé des trop nombreuses productions psychédéliques criardes, son court-métrage contemplatif nous emmène en balade au cœur d’un environnement organique et végétal, en direction d’un fœtus relié à une forme énigmatique : un choc esthétique qui n’est pas sans rappeler le final du film de Stanley Kubrick, 2001, l’Odyssée de l’espace.
Réalités artificielles
Évidemment, plusieurs œuvres présentées ici ont fait appel à l’IA. Parmi elles, la plus fascinante et la plus perturbante est sans aucun doute The Uncanny Valley of Replika. Pour réaliser ce court-métrage documentaire, volontiers expérimental, au rendu mi-figuratif mi-abstrait, Inès Sieulle s’est servie de l’application Replika, dirigée par une intelligence artificielle. Laquelle, à partir d’éléments de conversations, permet notamment de créer votre ami sur mesure ou de réveiller les morts. C’est flippant, parfois troublant, mais The Uncanny Valley of Replika séduit quoiqu’il arrive par sa volonté de questionner notre manière d’appréhender l’émergence de l’intelligence artificielle dans notre monde, ainsi que les troubles qu’elle génère.
Au total, l’exposition Cerveau Machine dévoile seize œuvres, formant un univers fascinant et hétéroclite, où se cotoîent différents médiums : dessins, sculptures, vidéos, installations interactives, IA, cyborgs… Un espace d’expression rêvé pour les artistes, qui en profitent pour sonder l’avenir de notre société chamboulée par les avancées rapides en neurosciences, sciences cognitives et machine learning.