Quel est l’intérêt d’une galerie dédiée aux NFT ? Comment exposer des œuvres entièrement digitales ? Comment trouver sa place au sein d’un monde de l’art encore frileux au sujet de ces nouvelles technologies ? Ces différentes questions, et tant d’autres, sont celles que l’on a souhaité poser à Joséphine Louis (Funghi Gallery) et Titou Granier (NFT Factory). Le temps d’une discussion animée par une même envie : « Faire transiter des artistes renommés vers les NFT, et faire connaître des artistes NFT auprès du grand public ».
La NFT Factory et la Funghi Gallery ont toutes les deux vu le jour il y a quelques mois, et s’inscrivent donc d’office dans une même tendance, et répondent à un même engouement. Quelle idée de l’art souhaitez-vous transmettre via vos structures respectives ?
Joséphine Louis : Il faut savoir qu’une galerie spécialisée dans les NFT pose plusieurs problématiques. Soit elle a une présence physique, ce qui implique des questions liées à la monstration des œuvres. Soit elle a une présence en ligne, et se base sur une marketplace permettant aux galeries de dialoguer/collaborer avec les artistes. Dans tous les cas, elle s’inscrit dans le même élan qu’une galerie dite traditionnelle : promouvoir des artistes, faire une sélection fine d’œuvres et développer un récit autour des pièces exposées – la plupart des artistes n’ayant pas encore de biographie ou de textes sur leur travail, il est selon moi important de les accompagner sur ce terrain-là. Pour ma part, j’estime qu’il est également essentiel de monter des catalogues, ne serait-ce que pour m’adresser aux collectionneurs ou à des institutions qui commencent tout juste à donner du crédit aux propositions sous forme de NFT. À l’image du Centre Pompidou.
Titou Granier : Tout l’enjeu de la NFT Factory est d’utiliser l’art pour expliquer les technologies NFT, et inversement. Notre but est donc également de donner de la visibilité à des artistes qui n’en ont pas encore, et qui méritent d’être vus. D’où des expositions comme Openscreen qui permettent autant artistes d’être exposés que d’exposer, c’est-à-dire de louer des écrans pendant une durée déterminée et de pouvoir dévoiler des œuvres sans que l’on s’implique de près ou de loin dans la curation.
« Les conditions de visualisation dans le métavers ne sont pas encore optimales, mais cela permet de mettre en place des opérations auprès de personnes venues des quatre coins du monde. Dans notre « monde à nous », ce serait beaucoup plus compliqué à réaliser. »
Lorsque l’on s’intéresse à de telles propositions, se pose effectivement la question de la curation : où repérez-vous tous ces artistes ?
Titou Granier : Si Benoît Couty, le co-fondateur de la NFT Factory, est un adepte de Twitter, j’avoue quant à moi privilégier la marketplace. Je me dis que c’est là le meilleur moyen de ne pas voir mes recherches être biaisées par les algorithmes. J’ai l’impression d’être dans une recherche brute, de pouvoir sortir des sentiers battus. C’est pourquoi j’y chine énormément.
Joséphine Louis : Pour ma part, j’oscille entre ces deux plateformes : la marketplace et les réseaux, types Twitter et Instagram. Parfois, il m’arrive également d’aller à la rencontre d’artiste pas encore investis dans les NFT pour les convaincre de s’y essayer. Elina Crespi, par exemple, est plutôt dans la réalité augmentée et la VR : elle a fait l’ECAL, et j’ai tout de suite souhaité travailler avec elle après l’avoir découverte lors de la première édition du Palais Augmenté, en 2021. Étant donné qu’elle ne connaissait pas les NFT, il a fallu l’accompagner de A à Z, créer des wallets, acheter des crytpos, lui apprendre à minter, etc. Cette notion d’accompagnement, cette nécessité d’être dans la formation est réellement intéressante.
Est-ce difficile de convaincre certains artistes quand on sait que les NFT sont encore suspectés de n’être qu’une bulle spéculative ?
Joséphine Louis : Je ne veux pas faire de généralité, mais il faut avouer que les plus de 50 ans sont souvent les plus difficiles à convaincre. Pour permettre aux NFT d’être pertinents, il faut savoir tout gérer de A à Z : faire de la com’, manier l’écriture, être un peu businessman, etc. Les nouvelles générations sont plus à l’aise avec toutes ces démarches. On sent qu’elles ne craignent pas ce format, qu’il y a moins de méfiance.
Titou Granier : Dans notre cas, la situation est différente, dans le sens où l’on ne programme pas d’artistes qui n’ont jamais minter… En revanche, on a un argument super fort : offrir la possibilité à des artistes d’exposer en face de Beaubourg, au sein d’un quartier très touristique et très porté sur l’art. Du coup, on se confronte assez peu au refus des artistes, si ce n’est par manque de temps ou parce qu’ils préfèreraient avoir un solo show. Or, on préfère pour le moment se concentrer sur des drops collectifs. L’idée, encore une fois, est de permettre à un large public de découvrir plusieurs propositions artistiques en même temps, de ne pas être excluant, et donc de proposer les œuvres à des prix abordables.
D’un point de vue purement technique, comment vous êtes-vous posés la question de la monstration en tant que galerie dédiée à des arts digitaux ?
Titou Granier : Chez NFT Factory, on est avant tout là pour former, expliquer, créer un écosystème propice à la démocratisation de la technologie NFT. D’où nos formations gratuites. D’où, aussi, notre volonté de rester assez classique dans notre façon d’exposer. L’idée, c’est de conserver un côté artistique, de ne pas tendre vers une scénographie type « parc d’attraction des nouvelles technologies ». Au sein de la NFT Factory, on privilégie donc les accrochages, on ne mise pas tout sur des dizaines de casques VR à disposition. Oon veut que les gens se plaisent dans nos locaux, qu’ils se concentrent avant tout sur l’œuvre, et non sur la technologie permettant de la voir.
Joséphine Louis : Pour ma part, ma première vente en février dernier s’est faite en ligne, lors d’une exposition sur le métavers qui, selon moi, est peut-être la meilleure façon de pouvoir exposer de l’art numérique. À condition, bien sûr, que le métavers soit assez performant pour fonctionner sur les ordinateurs de tout le monde, ce qui n’est pas encore le cas. Personnellement, j’avais opté pour Spatial.io, où le wallet te permet de détecter tous les NFT que l’on possède, et donc de les positionner comme on l’entend. C’est super facile.
À cette occasion, j’avais également créé un parcours d’exposition avec des textes, des QR codes, des vidéos, des cartes et même une sorte de conférence afin d’animer ce moment collectif. L’idée, c’était de présenter le thème de l’exposition aux deux cent personnes réunies sur la plateforme, mais aussi de permettre aux artistes d’intervenir, de répondre à des questions. Certes, les conditions de visualisation dans le métavers ne sont pas encore optimales, mais cela permet de mettre en place des opérations auprès de personnes venues des quatre coins du monde. Dans notre « monde à nous », ce serait beaucoup plus compliqué à réaliser.
« Notre but c’est que le grand public comprenne ce qui se joue actuellement au sein du monde de l’art. »
Joséphine, tu fais également partie du collectif Gxrls Revolution, avec lesquels tu as exposé à la Galerie IHAM, Paris. Comment as-tu abordé cette exposition physique ?
Joséphine Louis : Cette fois, il y avait des écrans de différentes tailles et des murs noirs, afin d’éviter le côté white cube un peu élitiste et glacial de certaines galeries. Aussi, avec JessyJeanne et Annelise Stern, les fondatrices de ce collectif, on avait souhaité utiliser du mobilier design, ne serait-ce que pour permettre aux acheteurs de se projeter, de pouvoir imaginer ces œuvres dématérialisées chez eux.
Malgré tout, le marché NFT connaît un net recul ces derniers mois. Est-ce une source d’inquiétude ?
Titou Granier : C’est vrai qu’il y a beaucoup moins d’actifs sur le marché, moins d’achats et beaucoup de spéculations au sujet des NFT. Cela dit, il y a un tas de raisons à même d’expliquer une telle situation : la crise économique actuelle, le pouvoir d’achat en baisse, etc. Tous ces phénomènes touchent énormément d’artistes et de structures, y compris les galeries a priori très éloignées des arts numériques ou de la technologie NFT. Pour ma part, je reste profondément optimiste et persuadé que les NFT sont une technologie révolutionnaire, du genre à offrir de nombreuses possibilités aux artistes, numériques ou non.
Pensez-vous, comme on le dit souvent, que les NFT offrent la possibilité aux artistes de garder un contrôle total sur leur production ?
Titou Granier : C’est effectivement une nouvelle façon de certifier leurs œuvres.
Joséphine Louis : Cela leur permet d’être autonomes, indépendants, voire même de se passer du soutien des galeries. On pourrait dès lors se demander quel est notre rôle dans tout ça, et bien c’est justement de pouvoir associer de jeunes artistes à d’autres plus identifiés. Dans mes expositions, par exemple, j’aime bien l’idée de placer deux artistes émergents aux côtés d’autres plus identifiés auprès des collectionneurs. Je trouve que ça les met en valeur, que c’est le rôle d’une galerie que de créer des connexions et d’être dans le défrichage.
J’imagine que tout l’enjeu de vos galeries est aussi d’être dans la démocratisation, de rendre accessible et compréhensible une technologie encore floue pour le grand public…
Titou Granier : C’est même la mission principale de la NFT Factory, et c’est aussi pour ça qu’on souhaite rester sur des prix accessibles. Notre but c’est que le grand public comprenne ce qui se joue actuellement au sein du monde de l’art.
Joséphine Louis : Je passe évidemment beaucoup de temps à vulgariser mon propos auprès des institutions, de même que dans mes expositions. L’idée n’est pas de tout miser sur les écrans, mais bien d’être dans la médiation, d’amener le public à interagir visuellement avec les œuvres, de penser à des expériences totales, avec du mapping, un concert, un DJ Set, etc. À titre personnel, c’est même l’une de mes ambitions pour les mois à venir : créer des collaborations entre musiciens et artistes numériques afin de proposer des expériences immersives sous forme de soirée, certes, mais surtout trouver d’autres manières de raconter une histoire.