Collectif Scale, les architectes d’émotions

Collectif Scale, les architectes d’émotions
“Hula Hoop” ©Gael Turpo

Leurs installations s’exposent à l’international et brouillent les frontières entre l’homme et la machine. Rencontre avec le collectif Scale, un groupe français de créateurs et techniciens passionnés, qui a construit son propre langage avec un désir bien précis : innover et générer des émotions.

Ces dernières semaines, les installations du collectif Scale ont été présentées aux festivals ADAF à Athènes, The Wire à New York, mais aussi Amour Sauvage à Paris et Displace à Bordeaux. Prochainement, on les retrouvera au festival SeaYou à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, du 19 au 21 juillet. C’est dire si le collectif et ses œuvres à la fois sculpturales et musicales parcourent le monde entier. Avec, à chaque fois, le même succès, les mêmes réactions enthousiastes.

Installation lumineuse composée de rayons en forme de sabres lasers.
Flux ©Scale

Débuts balbutiants

Pour comprendre cette reconnaissance internationale, le mieux est encore de remonter aux prémices. En 2011, Vincent Boudier et Joachim Olaya, deux amis ayant fait leurs études ensemble, décident de monter ce projet après plus d’une dizaine d’années de pratique professionnelle dans leurs domaines respectifs : le motion design pour l’un, le milieu de la musique et du spectacle vivant pour l’autre. Leur objectif ? Repousser les limites de l’expression artistique en utilisant de nouvelles technologies. « Au départ, nous avions une volonté, assez naïve, de bosser le weekend sur des projets visuels dédiés aux concerts et à la scène, se remémore Joachim Olaya, désormais manager et directeur artistique de Scale. Les propositions étaient relativement limitées, on avait donc la possibilité de nous exprimer avec beaucoup de fraicheur ».

Coup de chance pour les deux passionnés, l’année de création de Scale concorde avec la naissance de la Gaîté Lyrique, un établissement culturel parisien incontournable en matière de cultures numérique et post-internet. C’est effectivement dans ce lieu, qui sert alors de véritable tremplin à toute une génération d’artistes curieux du potentiel créatif des nouvelles technologies, que le collectif présente sa toute première exposition en 2015 grâce à un partenariat et à une résidence unique. Pour Joachim Olaya, c’est bien simple : « Sans la Gaîté, Scale n’aurait simplement pas existé ».

JoachimOlaya
« Après le Covid, nous avons choisi de développer le collectif et de l’ouvrir à une jeune génération. »

De fil en aiguille, le collectif accueille deux nouveaux membres, les projets se succèdent progressivement, mais le groupe n’est alors qu’un « side project ». Ainsi va Scale, et ce pendant près de huit ans. « Après le Covid, nous avons choisi de développer le collectif et de l’ouvrir à une jeune génération, se réjouit le co-fondateur qui travaille désormais à 99% sur ce projet. Aujourd’hui, douze membres de 18 à 45 ans composent cette joyeuse famille multigénérationnelle » Recherche, motion design, développement, mapping, programmation, design LED, robotique, mais aussi interactivité… L’équipe de Scale est capable de tout faire, et peut se targuer d’être en autonomie complète dans son processus de création.

Installation lumineuse projetée sur un mur.
Carnaval ©Scale

Au cœur des innovations

Bien que Joachim Olaya décrive son collectif comme « le vilain petit canard » du milieu, Scale, au contraire, se libère des carcans habituels et propose une approche innovante qui redéfinit les arts numériques en art des nouveaux médias. Un bref coup d’œil sur les profits, singuliers, qui composent le collectif suffit à en attester : chez Scale, personne n’a de formation artistique. « C’est la culture du câble et du fer à souder qui domine », indique leur biographie. Leur travail frôle l’ingénierie et le développement informatique, et lorsqu’on les interroge sur le fond de leurs installations, la réponse est limpide : « Avant, on n’osait pas le dire, mais maintenant on l’assume, on s’attache énormément à la forme, plus qu’au fond. Il est arrivé que les gens rient, pleurent, applaudissent. On sait que nos productions fonctionnent. Mais derrière, il n’y a aucune démarche profonde, pas vraiment de recherche de sens. Il est important pour nous de produire des émotions sans aucun mécanisme d’appréhension ou d’apprentissage. »

JoachimOlaya
« Chez Scale, c’est la culture du câble et du fer à souder qui domine. »

Leur tout premier cahier des charges indiquait que l’exposition devait fonctionner pour des enfants de quatre ans. Une décennie plus tard, cette idée n’a pas changé. À les entendre, c’est même là ce qui ferait en partie le succès du collectif Scale. Car, quel que soit l’évènement où se déploient les installations, les yeux du public sont systématiquement rivés sur un ballet lumineux et sonore hors-norme. Qu’ils soient néophytes ou experts, les spectateurs se laissent constamment guider entre diverses références suggérées, entre jeux vidéo, pop culture et art contemporain. De Star Wars à Vasarely, la technologie disparait pour laisser place au propos narratif et à l’imaginaire de chacun. Pour le collectif, il n’est pas question d’établir une démonstration technologique.

Installation lumineuse prenant la forme d'un cercle mouvant.
Magnetic Flow ©Scale
Installation lumineuse prenant la forme d'un cercle mouvant.
Magnetic Flow ©Scale

Flux, l’œuvre étendard

Au total, Scale a imaginé et confectionné une quarantaine de créations. Parmi elles, Flux fait l’unanimité dans le monde entier. C’est l’installation vedette du collectif, son blockbuster en quelque sorte. Affichant une architecture cinétique envoûtante, cette œuvre évolutive se compose de lignes de lumière en mouvement, rappelant les célèbres sabres laser, et se synchronise selon différentes vitesses et couleurs. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, l’écologie entre en jeu dans ce genre d’installation, Flux consommant l’équivalent d’un four ou d’un fer à repasser, pas plus. Conçue en 2020, cette dernière a connu plusieurs versions, toutes hypnotisantes mais très différentes. Actuellement au stade de sa quatrième déclinaison, l’installation est selon Joachim Olaya achevée : « On en est venu à bout de ce qu’on pouvait faire avec. J’essaye de m’en séparer, mais ce n’est pas facile. C’est comme en musique avec le tube d’un album, j’espère remplacer Flux par un autre tube. »

Toutes ces interrogations à propos de l’innovation et du succès amènent à un questionnement plus profond : comment imaginer l’avenir d’un tel collectif dans un monde où les avancées technologiques foisonnent ? Pour le directeur artistique de Scale, « le nerf de la guerre est de produire des choses qui n’existent pas ». Mais ce souhait fait face à de nombreuses difficultés. Alors que ce domaine ne jure que par la nouveauté et la croissance, et que la concurrence ne fait qu’accroître, le collectif Scale mise sur la transmission aux plus jeunes. « On a des piles d’idées, on n’en manque jamais. Mais elles peuvent s’essouffler. Il faudra alors se renouveler et s’adapter, car on peut vite disparaitre », précise-t-il.

Grâce à une grande maîtrise des nouvelles technologies, le collectif Scale parvient à créer des œuvres qui captivent et interpellent, toutes pensées et façonnées au sein d’un espace de travail propice à l’émulation, à la recherche. Installé dans un atelier de 400 m2 en partenariat avec la mairie de Montereau, le collectif Scale participe au projet d’envergure de cette petite ville qui veut développer l’art numérique, notamment via l’ouverture en 2026 de la halle Bernier, une ancienne usine de 1 500 m2 qui sera dédiée à la résidence d’artistes. Preuve que ces têtes chercheuses ne manquent pas d’idées et de projets pour l’avenir.

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