Comment créer une exposition immersive autour de l’espace ? Spectre Lab répond

Comment créer une exposition immersive autour de l’espace ? Spectre Lab répond
“Destination Cosmos”, Bassins des lumières ©Spectre Lab

Aux côtés de ses trois associés, Jérôme Sérane est depuis 2014 le directeur artistique de Spectre Lab, un studio créatif passé maître dans la conception d’expositions et expériences immersives. Ces dernières années, deux d’entre elles ont pour thème l’environnement spatial. Pourquoi cet univers ? Comment ont-ils procédé ? En quoi le fait de s’immerger à 360° dans l’espace est un réel défi ? C’est ce qu’il prend le temps d’expliquer.

Ces deux dernières années, Spectre Lab a produit deux expositions immersives liées à l’univers spatial. La première, c’était pour les 25 ans de la Cité de l’Espace. La seconde, Destination Cosmos, est un partenariat avec l’Atelier des Lumières. Quels défis doit-on relever au moment de se lancer dans la production d’expositions centrées sur un sujet si vaste ?

Jérôme Sérane : En tant que directeur artistique de Spectre Lab, j’écris généralement la grande trame de l’exposition. Je réalise des squelettes, à main levée, avec de grandes idées permettant d’échanger facilement auprès des différentes personnes travaillant avec nous sur un projet. Pour les 25 ans de la Cité de l’Espace, en 2022, le défi était de travailler relativement dans l’urgence, en partenariat avec le CNES. L’idée était d’habiller la fusée Ariane 6. Il était toutefois relativement difficile d’être exhaustif dans un format présenté en extérieur. On a donc essayé d’être le plus ludique possible. On a multiplié les allers-retours avec le CNES, on a travaillé quatre ou cinq mois sur le projet, dont deux ou trois mois de préproduction histoire de se mettre d’accord via des storyboards et des animatiques. 

Le jour de la représentation, on a malgré tout eu une chance incroyable. En gros, le spectacle finissait par le décollage d’Ariane 6 en trompe-l’œil, avec une vue sur l’ISS. Sauf que le jour même, l’ISS passait dans le ciel et était visible depuis le sommet de notre fusée. Clairement, si on avait voulu le faire exprès, on n’aurait pas réussi.

Quatre astronautes en orbite autour de la fusée Ariane 6.
Ariane 6, 25 ans de la Cité de l’Espace ©Spectre Lab

J’imagine que Destination Cosmos impliquait une tout autre logistique…

Jérôme Sérane :  Le projet à la Cité de l’Espace était finalement un petit événement, avec un petit budget, qui était censé n’être joué qu’une fois, selon un dispositif qui nous est propre et nous permet une plus grande liberté de création. Destination Cosmos, à l’inverse, se déploie sur des murs plats, ce qui n’est pas toujours évident pour penser l’espace de façon immersive, pour jouer avec l’environnement ou pour développer une narration adaptée. 

JérômeSérane
« On essaye toujours de créer des spectacles à plusieurs niveaux de lecture.  »

À l’Atelier des Lumières, il y avait également davantage de pression logistique – on parle tout de même d’une exposition avec 480 projecteurs et plusieurs vidéos de 10 minutes à stocker sur des disques durs de 10to – et financière, l’exposition étant censée durer plusieurs semaines. Pour tout dire, avec un thème pareil, elle était pensée pour être une exposition de vacances, mais elle a tellement bien fonctionné qu’elle continue de s’exporter à travers le monde.

Quand on pense une telle exposition, à destination du grand public, quelle est la place accordée à la véracité scientifique ? Le piège n’est-il pas céder au spectaculaire ?

Jérôme Sérane : C’était effectivement tout le challenge. Sachant que l’on ne peut pas faire pas le poids par rapport aux images que les gens ont en tête à cause des blockbusters hollywoodiens, on voulait à tout prix s’éloigner du sensationnel. Trente ou quarante minutes de spectacle, ça peut vite être chiant si l’on se contente de diffuser des panoramas d’images, qui proviennent ici des archives du CNES et des premiers clichés du télescope spatial James Webb. Mais il ne fallait pas non plus verser dans le spectaculaire afin que le contraste ne soit pas trop grand. Ça aurait été là le meilleur moyen de ringardiser les éléments purement scientifiques… L’ISS, par exemple, tout le monde a déjà vu la station, sa façon de se déplacer, etc. Dès lors, que montrer d’autre ? 

Cela nous semblait intéressant de représenter son architecture, semblable à un vrai puzzle, et donc de travailler en isométrie. Je ne sais pas si ça se ressent, mais on essaye toujours de créer des spectacles à plusieurs niveaux de lecture. Si tu n’es pas armé, tu peux juste trouver ça joli. Si tu es un amateur, tu peux déceler quelques partis pris. Notre job, après tout, est de traduire des informations et de les rendre compréhensibles et ludiques. Vulgairement, on pourrait donc dire qu’il s’agit de faire du à peu près beau et du à peu près intelligent… De toute façon, si quelqu’un veut en savoir davantage, ça dépendra toujours de sa volonté à prolonger le sujet une fois chez lui.

JérômeSérane
 » Notre job est de traduire des informations et de les rendre compréhensibles et ludiques.  »

Concrètement, comment fait-on pour faire de la vulgarisation sans tomber dans la vulgarité ?

Jérôme Sérane : Déjà, on ne veut pas mettre de textes, ni de voix off, un procédé que je trouve insupportable. Ensuite, il s’agit d’écrire une trame narrative et de la traduire en images tout en restant digeste et juste. Pour Destination Cosmos, par exemple, on s’est demandé comment aborder la Guerre froide sans être trop chiant. La solution a été de représenter les articles de presse via deux couleurs, le rouge et le bleu, avec la musique des Rolling Stones en fond sonore afin de symboliser l’époque. De toute façon, on ne va pas se mentir : 60% des émotions ressenties lors d’une exposition immersive proviennent de la musique. Nous-mêmes, on pense aux musiques avant de songer aux images.

Pour l’expo, on a également voulu jouer avec quelques symboles, comme la pierre de Rosette, que l’on souhaitait illustrer afin d’évoquer la sonde Rosetta. Parfois, il faut argumenter ce type de choix auprès des producteurs, qui veulent souvent que l’on rajoute des informations en sous-texte. Perso, j’ai tendance à penser qu’il n’y a pas besoin de surligner les choses pour qu’elles soient compréhensibles du grand public.

Vue sur la sonde Rosetta.
Rosetta, Destination Cosmos ©Spectre Lab

Quoiqu’il arrive, j’imagine que chaque élément est soumis à vérification auprès d’ingénieurs et de scientifiques ?

Jérôme Sérane : Outre nos lectures, on travaille effectivement en étroite collaboration avec le CNES. Tout ce que l’on écrit est envoyé à leurs spécialistes pour validation. Ces derniers corrigent pas mal de choses, des détails parfois, des méconnaissances d’autres fois. Quand on projette les satellites dans l’espace, par exemple, on dézoome et on voit que l’antenne n’est pas tournée dans le bon sens ; si on veut communiquer avec le satellite, l’antenne doit être tournée vers la Terre. C’est bête, mais si tu as un minimum de connaissances, tu vas tiquer…. Parfois, on est également confronté à nos propres limites. 

À l’Atelier des Lumières, par exemple, j’avais beau avoir un espace incroyable, je ne parvenais pas à trouver un moyen de représenter correctement le système solaire, à montrer clairement la distance qui sépare la Terre de la Lune, la Terre de Mars, etc. Par la suite, j’ai vu qu’un mec sur Internet avait créé un genre de PDF où, comme sur Tinder, tu swipes vers la droite. À chaque fois que tu swipes, tu fais un bond de 10 000 années-lumière, sauf que tu dois swiper pendant près d’une heure pour arriver jusque Mars, ce qui donne une idée assez juste et ludique de la véritable distance qui nous sépare de cette planète. J’aurais aimé avoir cette idée.

Dessins préparatoires d'une exposition immersive.
Dessins préparatoires de Destination Cosmos ©Spectre Lab
Dessins préparatoires d'une exposition immersive.
Dessins préparatoires de Destination Cosmos ©Spectre Lab
Dessins préparatoires d'une exposition immersive.
Dessins préparatoires de Destination Cosmos ©Spectre Lab

Aujourd’hui, penses-tu que les technologies immersives permettent d’aller plus loin dans l’exploration artistique du cosmos ?

Jérôme Sérane : Très honnêtement, je ne suis pas sûr que les salles immersives soient le meilleur média pour ce genre de thème. La meilleure technique, au fond, ça reste de projeter une œuvre via un casque VR. Chez Spectre Lab, on propose ce type d’expérience, mais on regrette que celle-ci soit solitaire, lourde à mettre en place, et ne mette pas tous les spectateurs à l’aise. L’immersif, je sais que ça en emmerde plus d’un, mais c’est une expérience que tu peux partager avec tes enfants : tu peux admirer, partager, prendre le temps d’expliquer. Le seul problème, c’est que tu ramènes tous les éléments sur un même plan. Tu as l’impression de pouvoir plonger dans les images, mais tu n’as pas encore la profondeur, tu ne peux pas jouer sur le vertige, imaginer l’immensité de l’univers exploré. En revanche, l’avantage de travailler sur des écrans aussi grands, c’est que l’on peut peaufiner les détails, créer des ambiances incroyables, un sentiment d’immersion, voire même donner à quiconque la sensation de chaleur à l’approche du soleil.

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