Chargé par les équipes de l’Atomium, à Bruxelles, de créer plusieurs installations lumineuses, dont une au sein de l’ascenseur du monument, le collectif français Visual System épate autant qu’il questionne : comment créer dans un tel espace ? Par quels moyens ? Et l’histoire, le récit, dans tout ça ? Reportage sur place.
Qu’il se balade au sein de l’Atomium ou aux abords du monument bruxellois, Valère Terrier donne l’impression d’être ici comme chez lui. Il prend les raccourcis, passe d’une salle à l’autre avec aisance et salue les différents salariés du lieu. À chaque fois, le même réflexe : montrer au vigile, à un membre de la restauration ou à un modérateur des expositions en cours la vidéo de sa dernière installation, finalisée la nuit précédente, à peine quelques heures avant notre rendez-vous. On y voit l’ascenseur de l’Atomium s’élever jusqu’au dernier étage tout en observant les installations lumineuses parsemées tous les mètres par Visual System.
Systématiquement, la réaction est similaire. Ou presque. « On dirait une scène d’Interstellar », dit l’un. « C’est comme monter à bord du Space Mountain à Disneyland Paris », dit l’autre. Pour Valère Terrier, la référence à la conquête spatiale est assumée. Au moment de penser Look Up, il confesse lui-même avoir eu l’impression de bosser au sein de la station Mir. Côté inspiration, celui qui a débuté sa carrière professionnelle en tant que journaliste spécialisée dans les sports extrêmes avance toutefois une autre référence : « Clairement, quand j’observe les photos, j’ai l’impression de voir une scène de 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick, dont je suis un grand fan. C’est fou, on dirait presque de la 3D ».
Spectacle son et lumière
Cela fait douze ans que Visual System collabore avec l’Atomium, cet édifice construit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1958 et voué, nous dit-on, à se dédier essentiellement aux arts numériques. Aujourd’hui encore, un des escalators du bâtiment conserve ce que Valère Terrier aime nommer « la plus vieille installation d’art numérique du lieu » : créée en 2012, Transit, accompagnée d’une BO imaginée par Le Tone à partir d’enregistrements de la mission Apollo. Depuis, c’est auprès des compositions de Thomas Vaquié, « le Hans Zimmer des arts numériques », que Visual System puise l’inspiration au moment de donner vie à ses créations, profondément immersives et constamment guidées par un même leitmotiv : « Voir la musique, entendre les images ».
La démarche n’a rien d’anodine de la part d’un collectif précurseur avec AntiVJ (Romain Tardy, Joanie Lemercier, etc.) de ce type de performance, habitué à œuvrer aux côtés d’autres artistes musicaux. C’est même par là qu’a commencé Valère Terrier, en réalisant des visuels pour les soirées techno. Depuis, Visual System a conçu des shows lumineux pour -M-, NTM ou le Wonderfruit Festival, en Thaïlande, où les quatre comparses ont planté seize samanea saman dans l’idée de s’inscrire dans le temps, de faire un geste pour la planète et de construire chaque année une scénographie en fonction de ce cercle formé par ces arbres à pluie.
Appel à LED
À des milliers de kilomètres de Pattaya, retour à l’Atomium, où Valère Terrier nous fait visiter les différentes installations lumineuses récemment créées. Outre Transit, toujours visible, celles-ci se déploient sur trois étages, « chacun ayant été travailler séparément ». Ici, une structure métallique construite pour s’adapter à l’architecture du lieu ; là, un show coloré, « avec ce petit décalage de lumières bleues et rouges, imperceptible à l’œil nu, mais relativement efficace pour donner l’illusion de faire bouger l’espace ». Enfin, il y a le dernier étage et son installation permanente, caractérisée par des anneaux de 50 mètres : soit des tiges d’aluminium entourées de boudins au sein desquels ont été glissées des LED. « Clairement, on a appliqué ici notre savoir-faire, notre goût du bricolage et notre connaissance du bâtiment. Celui-ci est loin d’être le plus accueillant pour les artistes, du fait du peu d’accès qu’il permet, de son côté métallique et de tous les escaliers qu’il comporte. Ce n’est pas facile d’y intervenir, mais c’est aussi ça qui le rend super intéressant. C’est un immense laboratoire, parfait pour penser de nouveaux projets ».
Ces dernières semaines, Pierre Gufflet, Julien Guinard, Ambroise Mouline et Valère Terrier ont donc déroulé des kilomètres de câbles, récolté de multiples datas, avalé de la poussière et passé des nuits de minuit à 6h du matin dans un espace confiné afin d’y installer entre 500 et 600 unités de lumière. « À l’époque de sa construction, en 1958, l’ascenseur de l’Atomium était le plus rapide d’Europe. C’est un tunnel d’acier et de câbles au sein duquel l’on se déplace de cinq mètres toutes les secondes, détaille Valère Terrier, les yeux remplis d’enthousiasme. Cet espace, petit et exigu, nous a obligé à être très organisé, mais aussi à être accompagné d’un spécialiste, quelqu’un capable de cadrer notre projet et de veiller à la sécurité des lieux : on parle tout de même d’un ascenseur pris par près de 850 000 personnes par an… ».
Faire tourner la tech
Histoire de ne pas perdre de temps dans l’installation, et donc de ne pas avoir à percer la structure à tout-va, Visual System a choisi ici de travailler avec des aimants, tous permettant de fixer ces portails en hexagone que l’on aperçoit en levant la tête au sein de l’ascenseur. « En fin de compte, ça donne une installation très visuelle et hautement dépendante de ce lieu, géométrique, contraignant, mais finalement idéal pour œuvrer en collectif et expérimenter de nouvelles formes de création ».
Sur sa lancée, Valère Terrier exprime ce qui pourrait bien être le mantra de Visual System : « Ça ne sert à rien de bien faire quelque chose qui a déjà été fait ailleurs ». Traduction : le collectif recherche l’inédit. D’où ce goût pour les shows colorés. D’où cette volonté d’aller vers des lieux aussi improbables qu’accessibles à tous. D’où cette façon de s’approprier des bâtiments à l’architecture si particulière. « Quand on y pense, on ne fait que donner à voir autrement, grâce à des outils contemporains, ce qui a déjà été construit, admet Valère Terrier, modeste. La musique et les lumières ne sont là que pour amplifier l’Atomium. On est au service de l’ingénierie du bâtiment ».
Fort d’une quinzaine d’années d’expérience, Visual System a toutefois réussi à imposer une écriture, évolutive certes, mais très marquée, très singulière. Valère Terrier le reconnaît : « Dans nos installations, il y a souvent ce moment Disney, cette explosion de sons et de lumières à la fin, de sorte à ce que cela crée quelque chose d’assez grandiose. On aime aussi penser des moments qui breakent et proposent une montée au milieu du show, un peu comme pourrait le faire Ryoji Ikeda, une de nos grandes inspirations ».
Ces derniers temps, Visual System dit toutefois vouloir revenir à des œuvres moins narratives, « ce qui n’est pas toujours facile parce qu’on veut garder notre style et ne pas proposer aux gens des projets passe-partout ». Que Valère Terrier se rassure : Look Up n’est pas une expérience quelconque, uniquement bonne à distraire des touristes de tout âge, possiblement peu intéressés par l’art numérique. C’est une installation à la fois innovante et soucieuse de ne pas trop bousculer le public, une œuvre vouée à prolonger l’imaginaire suggérée par l’Atomium, « cette espèce de gros vaisseau spatial avec ses différentes salles des machines ». Paré au décollage ?