Franck Vigroux (musicien) et Antoine Schmitt (plasticien et artiste numérique) ont imaginé CASCADES, un magnifique live où le public observe une cascade de pixels dans un environnement sonore électronique. Ce 4 mains explore l’idée même du mouvement et le caractère immuable de la Nature. Animé par l’envie de proposer un live hors des sentiers battus, le duo livre ici quelques clés permettant de concevoir une performance live.
Étape 1 – Développer un vocabulaire poétique
Dans la performance CASCADES, créée en 2022, il n’y a pas à proprement parler de narration : « Il n’y a pas nécessairement besoin d’avoir un début, une fin ou un message pour tous les spectacles, explique d’emblée Antoine Schmitt. Avec CASCADES, il y a une volonté de laisser le public vivre sa propre expérience, construire sa propre interprétation ». Pour autant il ne s’agit pas de proposer une abstraction totale qui laisserait le public dans le flou. L’artiste visuel poursuit : « Nous sommes partis d’une série d’installations que j’avais réalisée et pour laquelle je m’étais inspiré des peintures chinoises traditionnelles. Dans ces dernières, la cascade est abondamment présente. Elle symbolise le temps qui passe mais qui demeure immuable. C’est cette dualité qui nous intéresse ». À partir d’un élément – c’est-à-dire la cascade -, c’est donc tout un univers qui est développé. « Il y a une symbolique de la vie, ajoute Franck Vigroux. En haut de la cascade, on peut y voir la jeunesse, en bas, la vie à un âge plus avancé. Suivant les générations et les civilisations, on a des regards différents. Et puis aujourd’hui, avec tous les problèmes liés à l’eau, la dimension poétique se mêle à quelque chose de plus dramatique. »
À entendre le duo, ces multiples interprétations permettraient ensuite de poser un langage visuel et sonore : « À partir de ces images qui me viennent à l’esprit, j’ai tout un univers sonore. Je compose à partir d’une structure commune en ajoutant des alternances de rythmes et des nuances ». Idem pour Antoine Schmitt, qui développe un univers poétique à l’antithèse d’une démarche photoréaliste : « En aucun cas je ne reproduis la cascade. Ce qui m’intéresse, c’est l’abstraction du mouvement que je matérialise en pixels. Pour reproduire l’esprit d’une cascade, on n’a pas besoin de créer une vraie cascade. C’est le cœur de ma démarche. »
Étape 2 – Revenir à la source : la scène
« Pour nous, il est capital d’être sur scène, commence par dire Antoine Schmitt. Le rapport au public est très fort, ce qui nous permet d’adapter certains moments d’un live à un autre. Les choses sont mouvantes en fonction de ce qui se passe dans la salle. Par le simple fait d’être sur scène, il y a une sorte d’empathie qui se crée entre le performeur et le public. Ce dernier sent que c’est maintenant que ça se passe, que tout peut déraper. C’est notre fragilité qui contribue à la force de la performance ». Il pourrait sembler banal de le souligner, mais cet aspect a une toute autre résonance aujourd’hui : « On propose un vrai moment d’immersion, analyse Franck Vigroux. Je sais que le mot “immersif” est à la mode. Il sert parfois à justifier des dispositifs technologiques, mais CASCADES hypnotise simplement les spectateurs et les spectatrices par l’image et le son. Moi, je n’ai que deux yeux et deux oreilles, c’est déjà très immersif. À mon avis il n’y a même rien de plus immersif que ça. »
Étape 3 – Nourrir son inspiration d’autres disciplines
À travers leurs expériences personnelles, ou par l’observation du monde qui les entoure, les artistes ont mille et une manières de trouver l’inspiration propice au développement de leurs œuvres. Un conseil que délivre les deux compères interrogés : « Je trouve indispensable de se nourrir d’autres univers créatifs, confie Franck Vigroux. C’est drôle car je crois mieux connaître la scène de la danse contemporaine que celle de la musique électronique. De manière globale, j’aimerais voir tomber les cloisonnements qui persistent entre les disciplines artistiques. Hélas, je crains que ce soit un vœu pieu…« Antoine Schmitt abonde dans le même sens, à sa manière : « Toutes les œuvres s’inscrivent dans une histoire de l’art… elles dialoguent, s’enrichissent. »
D’ailleurs puisqu’il s’agit de faire le pont avec d’autres disciplines, précisons que CASCADES est programmé lors d’un week-end spécialement consacré à Christopher Nolan lors de la Biennale Némo, les 25 et 26 novembre. De là à imaginer Antoine Schmitt et Franck Vigroux s’inspirer du cinéaste hollywoodien ? Indéniablement : « Nous ne sommes pas forcément fans des productions hollywoodiennes, cependant les thèmes de prédilection de Nolan – la déconstruction et la perception du réel, le rapport au temps… – nous passionnent totalement. D’ailleurs, à l’instar de certains de ses films, Memento, Inception ou Interstellar, par exemple, CASCADES aborde le sujet de la boucle temporelle. Ce qui change, ce qui est immuable… »