C’est à lui que l’on doit les créatures fongiques qui peuplent les clips des Profound Mysteries du duo électro Röyksopp, les compositions florales des couvertures d’albums de Flume (Skin, Palaces) ou encore l’univers visuel de l’album mythique de The Avalanches, We Will Always Love You. Explorateur insatiable qui n’a que faire des frontières entre le digital et le réel, Jonathan Zawada développe une esthétique imprégnée par l’imagerie de l’IA générative, et révèle ainsi la poésie secrète derrière les lois complexes de l’univers.
En 2015, Jonathan Zawada conçoit Goldfish, une installation créée avec Kim Laughton pour le festival Tomorrow’s Party à Pékin. Face à un bassin où nagent 200 poissons rouges, un mur de LED réagit en temps réel aux mouvements des poissons, du public et des sons ambiants, pendant qu’un ensemble sculptural d’ordinateurs transforme ces flux en une expérience visuelle immersive. Cette œuvre fondatrice amorce alors, pour cet artiste venu de l’illustration, un premier virage vers la création augmentée.
Trois ans plus tard, l’Australien se voit confier la mise en lumière de l’Opéra de Sydney dans le cadre du festival Vivid Sydney. Il y projette Metamathemagical, un film de quinze minutes qui mêle l’infiniment petit au macrocosme, nourri de géologie, de faune et de flore australiennes. À travers cette fresque lumineuse, très acclamée, il rend hommage aux artistes locaux ayant forgé sa sensibilité, tout en créant un spectacle hypnotisant, où les reflets des couleurs dansent sur l’eau.
L’humanité du digital
Sans suivre de formation académique, Jonathan Zawada s’oriente très tôt vers le développement web et l’illustration, puis s’aventure vers les domaines de la mode, de la direction artistique et de la stratégie de marque. Cette trajectoire non linéaire nourrit évidemment son approche pluridisciplinaire : « Peut-être parce que je ne suis jamais allé à l’université, je n’ai jamais ressenti de délimitation nécessaire entre les différents médiums », raconte-t-il. Conséquence logique d’un tel rapport à l’art, Zawada manipule peinture, sculpture, dessin, vidéo, installation et conception d’objets avec une liberté rare. « C’est pour moi très insatisfaisant de faire un travail qui ne vit que sur un écran, capable de disparaître en un instant ; cela me semble également incomplet en termes d’expérience humaine et de relation à l’art, affirme-t-il. J’essaye donc toujours de trouver des moyens de traduire le travail numérique dans le monde d’une manière qui soit aussi saillante que la peinture et la sculpture. »
En 2010, les œuvres de l’exposition Over Time, à Los Angeles, témoignaient déjà de ce désir de faire des ponts entre les mondes digitaux et réels. Son processus ? S’accaparer des données graphiques à l’aide d’un logiciel 3D – pour « la consommation de marijuana chez les élèves de terminale » et « les ventes de CD et de vinyles entre 1975 et 2000 », par exemple -, afin que l’environnement qui en résulte devienne une abstraction virtuelle imitant un paysage montagneux. En les peignant sur du lin, il fait de ces travaux une sorte de réponse, pleine de couleurs et de fantaisie, à la réalité virtuelle des expériences numériques.
« C’est pour moi très insatisfaisant de faire un travail qui ne vit que sur un écran, capable de disparaître en un instant. »
Il n’est évidemment pas bien difficile de deviner combien Björk et son univers visuel polymorphe, né de la richesse de ses collaborations avec d’autres artistes – Me Company, Nick Knight, Michel Gondry, Pierre-Alain Giraud et tant d’autres encore -, ont pu constituer, et continuent d’être pour lui une source d’inspiration. De même que sa manière unique d’embrasser la technologie numérique sans sacrifier l’humanité de ses messages, et son habileté à naviguer dans le champ de la pop sans compromettre la valeur artistique de ce qu’elle fait.
Créateur d’écrins visuels pour la musique
À l’inverse de Björk, ce sont les musiciens qui viennent chercher Zawada. Il collabore régulièrement avec le producteur Mark Pritchard, signé chez Warp, pour qui il a minutieusement réalisé les visuels des EPs Ghost, Make A Livin’ et Lock Off. Pour le clip « Beautiful People », avec Thom Yorke, il orchestre une procession de personnages masqués aux visages clownesques, en papier mâché, puis réalisée en version 3D sur Blender afin d’en faire des créatures grotesques, presque menaçantes.
La vidéo n’est d’ailleurs qu’un aperçu d’un film entier accompagnant l’album commun de Mark Pritchard et Thom Yorke, Tall Tales, paru le 9 mai dernier. Né d’un travail de longue haleine (lire le 49e numéro de notre newsletter éditoriale), il répond à la profondeur subtile et à la complexité de la musique elle-même. « Chaque morceau possède une identité sonore incroyablement forte et singulière, et je voulais que les images en rendent compte, sans m’attacher à une approche esthétique uniforme, mais en me laissant guider librement par ma réaction à chaque piste, révèle-t-il.À la croisée du Moyen Âge fantastique et d’une dystopie postmoderne, les créatures de Zawada y évoluent dans un monde en ruines, peuplé de symboles déformés de notre quotidien consumériste. « Une grande partie a été réalisée avec Blender, et le reste combine des films d’archives, des séquences trouvées et divers autres matériaux. », ajoute-t-il.
Connecter l’image aux sons
Avec Röyksopp et la puissante trilogie Profound Mysteries, dont il a imaginé les visuels et les clips, il s’attaque à l’imagerie balbutiante de l’intelligence artificielle. Pour ce groupe norvégien, il reconstruit en peinture et en 3D des images générées par IA, étranges et imparfaites, qui semblent réelles à première vue mais s’effondrent sous l’examen. Il y voit une parfaite métaphore de la musique électronique, faite de textures mouvantes et de distorsions. « Une ligne de basse, c’est une marche chaloupée. Une caisse claire, une explosion de confettis. Une distorsion, une pluie d’éclats de verre », explique-t-il.
« Une ligne de basse, c’est une marche chaloupée. Une caisse claire, une explosion de confettis. Une distorsion, une pluie d’éclats de verre. »
Sa collaboration avec The Avalanches sur We Will Always Love You atteint un sommet d’émotion. L’image de Barbara Payton, une actrice hollywoodienne oubliée, et décédée à 39 ans, reste cachée dans les sillons de l’album sous la forme de « Star Song.IMG », un bruit blanc de dix secondes qui, lorsqu’il est introduit dans un spectrographe – c’est-à-dire un programme transformant les formes d’ondes audio en formes visuelles –, donne naissance à un portrait de l’actrice. De collaboration en collaboration, Jonathan Zawada pousse ainsi ses expérimentations, non seulement jusqu’à renforcer la résonance des œuvres auxquelles il participe, mais aussi à y inscrire durablement son empreinte et sa sensibilité : l’image, dès lors, ne précède pas le son ; elle naît de l’écoute, s’en nourrit et la prolonge.