Imaginez : un spectacle sans protagoniste, où seuls la lumière, le son et les projections suffisent à vous projeter au cœur d’une histoire immersive. Tel est l’exploit réalisé par le duo hispano-suisse EL conde de Torrefiel, dont la dernière pièce, La Luz de un Lago, repousse les limites du théâtre traditionnel.
Sur la scène des arts vivants, rares sont les compagnies qui parviennent à conjuguer maîtrise technique, esthétique marquée et réflexion philosophique avec une telle finesse. Ajoutez à cela la dimension immersive et vous obtenez El Conde de Torrefiel, collectif dirigé par la suissesse Tanya Beyeler et l’espagnol Pablo Gisbert. Lesquels s’imposent en maîtres du théâtre contemporain de par leur volonté d’insuffler à leurs créations une force visuelle et sensorielle déconcertante. Actuellement présentée à la Maison Saint-Gervais de Genève, leur dernière pièce, La Luz de un Lago, envoie ainsi valser les codes du théâtre classique, préférant à cela explorer les méandres de la perception humaine grâce à un dispositif scénique complètement inédit.
Ici, le théâtre devient un espace visuel où le spectateur est moins invité à comprendre qu’à ressentir. Épurés à l’extrême, les dialogues de La Luz de un Lago se font discrets et laissent place à une écriture visuelle faisant de la lumière la grande protagoniste de cette œuvre. Un espace liminal se déploie alors, entre sérénité et agitation intérieure, propice à toutes les expérimentations visuelles et sensorielles.
Entre chaos et sérénité
La Luz de un Lago, c’est donc un théâtre 2.0, hybride, expérimental, qui interroge le chaos du monde contemporain. La pièce n’offre pas de récit linéaire mais une succession de fragments, des instants suspendus où le spectateur est invité à remplir les vides par sa propre subjectivité. Cette approche immersive, loin d’être un effet de style, s’impose comme un véritable manifeste : au-delà des prouesses techniques, La Luz de un Lago revendique ainsi l’importance du moment vécu. En explorant des thèmes universels tels que le temps, l’identité ou la mémoire, la mise en scène se distingue également par sa profondeur philosophique, faisant du lac un symbole de l’âme humaine, aussi claire que troublée.
Un parti pris parfaitement assumé par le collectif El Conde de Torrefiel, qui n’entend pas livrer de quelconques réponses. En s’inscrivant ici au carrefour de la performance, des arts visuels et de la poésie, il s’agit plus volontiers de poser des questions, de provoquer une certaine forme d’introspection chez le spectateur, quitte à repousser les limites de ce que ce dernier peut attendre d’une œuvre scénique. En cela, Tanya Beyeler et Pablo Gisbert ont réussi leur pari : proposer une expérience qui dure dans le temps, que l’on emporte chez soi, aussi comblé que perturbé.
- La luz de un lago, de El Conde de Torrefiel, Maison Saint-Gervais, Genève, Suisse.