Pionnier de l’art vidéo, l’artiste coréen Nam June Paik est aujourd’hui considéré comme un nom incontournable de la scène d’avant-garde américaine. Pourtant, les autorités états-uniennes n’ont pas toujours été de cet avis.
Nous sommes en février 1967. Tout le petit monde de l’art s’est pressé au Carnegie Hall de New York pour assister à la dernière performance commune de la violoncelliste Charlotte Moorman et du pape de l’art vidéo, le Sud-Coréen Nam June Paik, installé aux États-Unis depuis 1964. Sur la scène, Charlotte Moorman s’avance doucement, uniquement vêtue d’une longue jupe noire brillante touchant le sol. Poitrine nue, la musicienne se lance alors dans une interprétation complètement loufoque d’une berceuse classique, grattant parfois son violoncelle avec des mini-hélices fixées à ses seins.
Bonnie & Clyde de l’art
Intitulée Opera Sextronique, cette performance rend hommage à l’une des maximes du duo, qui veut que « la musique soit un moyen de transport en commun, le soutien-gorge aussi ». Avec cette oeuvre, Nam June Paik a surtout l’envie de filmer cette pensée qui lui trotte en tête depuis déjà quelques années : pourquoi le sexe est-il si ouvertement proscrit dans la musique alors qu’il est fréquemment abordé dans l’art et la littérature ? Opera Sextronique par de là, de cette envie de lui redonner une place d’honneur au sein de cette sphère.
Hélas, personne n’avait prévu l’intervention des forces de l’ordre. C’est pourtant bien ce qui a fini par se produire, en plein deuxième mouvement du spectacle, lorsque Charlotte Moorman se fait sortir de scène manu militari et est immédiatement arrêtée. Inévitablement, l’incident fait grand bruit aux États-Unis, où le duo se traîne désormais une mauvaise réputation : quand Nam June Paik reçoit l’étiquette de « terroriste culturel », Charlotte Moorman, elle, est alors réduite à un étrange statut, celui une « violoncelliste aux seins nus ».
Artiste contestataire
Quant à Opera Sextronique, il faudra attendre une décennie pour que la pièce soit enfin jouée dans son intégralité au Carnegie Hall, en 1977. Convaincu que se joue là une démarche ouvertement critique, renforcée par la vision de Guadalcanal Requiem, une vidéo de 59 minutes attirant l’attention sur la mémoire et le traumatisme de guerre, le gratin de la scène contemporaine salue alors la subversion et le caractère politique d’une œuvre parfaitement représentative du travail mené par Nam June Paik, jamais le dernier au moment d’utiliser l’art pour briser les tabous sociaux et donner vie à des pensées contestataires.