Cette semaine, lorsque l’on a décidé de regarder dans le rétro, c’est sur la route 66 que l’on s’est retrouvé, fasciné par l’idée de contempler l’œuvre emblématique de l’artiste allemand Manfred Mohr, Cubic Limit, qui utilise les algorithmes à des fins créatives. A priori, rien d’exceptionnel aujourd’hui. Sauf qu’on est alors en 1969, une année finalement moins érotique que numérique.
De temps en temps, regarder en arrière est nécessaire pour comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. Et si l’art numérique apparaît comme nébuleux, voire complètement futuriste pour certains, savoir qu’il prend sa source dans des œuvres bien plus anciennes que le Nokia 3310 permet de poser un regard éclairé sur ces nouvelles formes de création. Pionnier de l’art génératif et informatique, Manfred Mohr résume à lui seul l’adage « pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ».
Né en 1938 à Pforzheim en Allemagne, Manfred Mohr entame sa carrière de façon assez classique pour tout artiste allemand de cette époque, largement influencé par ses pairs de l’expressionnisme abstrait. Avec le temps, il finit toutefois par se détacher de cette référence encombrante pour s’appuyer sur d’autres influences, d’autres récits, d’autres œuvres, notamment les écrits du philosophe Max Bense sur l’esthétique de l’information ou les compositions du musicien français Pierre Barbaud générées par ordinateur. Ainsi, dès 1969, Manfred Mohr change radicalement d’approche et délaisse la peinture pour l’informatique, réalisant ses premiers dessins numériques à l’aide d’un traceur à l’Institut de météorologie de Paris. C’est la révélation !
La passion de l’hypercube
Fasciné par le motif de l’hypercube – soit un cube de plus de trois dimensions pouvant être représenté dans un espace bidimensionnel -, Manfred Mohr est invité en 1971 par la Compagnie générale de micromatique à tester leur nouvelle machine graphique. En résulte Cubic Limit, un film présenté lors de son exposition Computer Graphics. Dans ce court-métrage, un ensemble organisé d’éléments cubiques produit une image en mouvement où chaque cube est divisé horizontalement en deux parties sur un plan cartésien, créant ainsi deux partitions sur lesquelles évoluent des rotations indépendantes d’un cube projeté en deux dimensions et rognés par une fenêtre carrée.
Profondément mathématique, ce travail contient heureusement un petit twist, une sorte de bug dans la matrice permettant à Cubic Limit de fracturer la symétrie et la géométrie parfaite du cube en multipliant les incréments. Comme quoi, même la formule mathématique la plus léchée peut produire un résultat surprenant. Et c’est bien là toute la beauté de l’art de Manfred Mohr !