Cette semaine, lorsque l’on a décidé de regarder dans le rétro, c’est sur la route 66 que l’on s’est retrouvé, fasciné par l’idée de contempler l’œuvre emblématique de l’artiste fluxus Nam June Paik : Electronic Superhighway, une installation vidéo que l’on imagine tout à fait avoir sa place dans les Biennales d’art numérique les plus actuelles.
De temps en temps, regarder en arrière est nécessaire pour comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. Et si l’art numérique apparaît comme nébuleux, voire complètement futuriste pour certains, savoir qu’il prend sa source dans des œuvres bien plus anciennes que le Nokia 3310 permet de poser un regard éclairé sur ces formes de création. Des années 1960 à sa disparition en janvier 2006, à 73 ans, l’artiste Nam June Paik a ainsi été de ces éclaireurs qui illustrent à la perfection l’adage « pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ».
L’esprit pionnier
Nam June Paik est né à Séoul en 1932. Mais c’est aux États-Unis, où il immigre en 1964, qu’il s’épanouit en tant qu’artiste, en rejoignant notamment le groupe Fluxus, dont les illustres membres n’étaient autres que Yoko Ono ou Ben Vautier. Fier de son pays d’adoption, Nam June Paik le met en scène dans son œuvre emblématique de 1995, Electronic Superhighway, qui cristallise à elle seule toute la pratique de ce pionnier de l’art vidéo.
Monumentale, l’installation se compose en effet de 336 téléviseurs, 50 lecteurs de DVD, 1143 mètres de câbles et 175 mètres de tubes au néon multicolores. Autant dire qu’il s’agit ici d’un gros morceau de technologie « sculpté » à l’image de l’Amérique et de ses célèbres enseignes lumineuses qui ont littéralement ébloui le plasticien lors de son arrivée : motels, diners, publicités… Ici, tout est immense, et brille de mille feux.
God bless America
Partant de la devise américaine « E pluribus unum », soit plus grossièrement « l’union fait la force », l’ensemble rassemble les cinquante États d’Amérique en une seule et même unité, dont la grandeur rend clairement hommage à celle constamment revendiquée des USA. L’installation, de très grand format (4,60 m de haut, 12,20 m de long, 1,20 m de profondeur), représente effectivement une carte des États-Unis dont les frontières intérieures sont délimitées par des néons de couleurs vives, semblables à ceux qui ont tant frappé Nam June Paik à son arrivée, tandis que des extraits vidéo rendant hommage à la culture américaine passent en boucle dans 313 moniteurs de télévision.
Si le rendu final est plus proche du joyeux bordel et de la confusion totale que de l’œuvre lisse et aboutie, tout devient plus clair lorsque l’on isole chaque Etat : l’Oklahoma est défini par des extraits du Magicien d’Oz, le Kentucky est représenté par le Kentucky Derby, le Mississippi par des images du mouvement des droits civiques, etc. Drôle, mais aussi politique, Electronic Superhighway continue ainsi de s’offrir comme un portrait fidèle de l’Amérique par elle-même, où les stéréotypes cohabitent sans conflit avec la réalité.