Lauréate pour la seconde fois du premier prix Carla Rapoport, Yuqian Sun brille à nouveau grâce à une œuvre synthétisant ses recherches autour de l’intelligence artificielle et de son langage. Nom du projet ? AI Nüshu. Sa caractéristique ? Renverser l’idée qui voudrait que les machines soient les purs produits de l’être humain.
Inspirée par le Nüshu, un langage secret développé par les femmes dans la Chine du XIXe siècle, à une époque où ces dernières n’avaient pas accès à l’éducation, Yuqian Sun a imaginé AI Nüshu, une oeuvre capable de développer un système d’écriture, basé cette fois-ci sur les échanges peer-to-peer entre agents IA – lesquels imitent à leur tour ces systèmes de communication utilisés autrefois par les femmes. Un travail à double vocation, donc. Parce qu’il s’agit là pour l’artiste de mettre en lumière l’émergence du langage dans un contexte féministe non occidental, et parce qu’il y a là, en sous-texte, la volonté d’exploiter les capacités des nouvelles technologies à discuter entre elles.
Rien à voir avec le Morse : ici, l’IA Nüshu évolue de manière organique à partir des observations et des retours d’information de la machine sur l’environnement. L’idée ? Refléter la formation naturelle des langues humaines. En résumé, la technologie fait tout le travail quand l’homme, lui, devient l’observateur de ses compétences.
Le double langage de l’IA
Dans la mesure où ce langage généré par la machine devient une source déchiffrable et compréhensible par l’être humain, le travail de Yuqian Sun renverse une dynamique que l’on croyait pourtant bien ancrée : non, l’Homme n’est pas la seule entité linguistique et oui, la machine peut dépasser son simple rôle d’élève.
« Il est dans la nature humaine de donner du sens aux histoires et d’anthropomorphiser. »
Soutenue par GPT3 (la mère de ChatGPT), la version originale du projet consistait en une spéculation sur un futur où les agents IA pourraient vivre en totale harmonie avec les utilisateurs du web, sans avoir à se faire passer pour un humain. Une vision posthumaniste où l’Homme et la machine seraient placés sur le même plan dont Yuqian Sun se défend dans les colonnes de Right Click Save : « Mes recherches ne visent pas seulement à rendre les agents non humains crédibles, mais aussi à créer une nouvelle forme de narration interactive. Il est dans la nature humaine de donner du sens aux histoires et d’anthropomorphiser, ce qui inclut la question de savoir si l’IA remplacera le travail humain, un récit très courant que nous avons entendu récemment, rappelle l’artiste chinoise, basée à Londres. Je propose simplement une manière alternative de spéculer sur l’avenir, car je ne veux pas tomber dans les pièges narratifs polarisés qui tentent de simplifier la technologie de l’IA en utilisant des concepts existants tels que « l’IA nous remplacera » ou « l’IA est l’avenir » ou encore « l’IA n’est qu’un outil ». Suffisant pour détendre les discours autour de l’intelligence artificielle ?