On fait le point. Le net.art existe-t-il toujours ?

On fait le point. Le net.art existe-t-il toujours ?
Vuk Ćosić, “Deep ASCII”, 1998

On a longtemps désigné le net.art comme étant le regroupement des œuvres utilisant Internet (et plus largement l’informatique) dans leur production. Un terme qui faisait sens dans les années 1990, mais qu’il convient de questionner aujourd’hui… L’art n’est-il plus uniquement que post-internet ?

Utilisé pour la première fois en 1995 par l’informaticien et homme de radio allemand Pit Schultz, le terme net.art est rapidement réutilisé par un petit groupe d’artistes pour désigner leurs pratiques artistiques sur Internet. L’appellation séduit, intrigue, et finit englober en son sein toute une culture new wave, caractérisée par l’émergence d’une flopée de cyberpunks et d’activistes sur le web. « Il n’y avait pas une attitude aussi dure et conflictuelle envers le système artistique que le nôtre. Nous étions pleins de pisse et de vinaigre », se souvient Vuk Ćosić dans un article de Right Click Save. Pionnier, l’artiste slovène, qui travaille sur Internet depuis 1994 et fait partie intégrante de ce petit groupe d’artistes évoqué plus haut, développe le fond de sa pensée : « Nous nous considérions comme des gens qui avaient enfin trouvé un refuge viable contre le système de l’art : les galeries, la bureaucratie de l’art, les critiques, les théoriciens, les galeristes – les gens qui ont des clés –, ainsi que le marché de l’art. »

Auriea Harvey, Eden.Garden 1.0 , 2001.

Une micro révolution qui, si l’on en croit Ćosić, peut se baliser de 1995 à 1998, date de la déclaration de la mort du net.art par les artistes à Banff, au Canada. Parce que le terme ne plaît pas à tout le monde. Et parce que le grand public a tendance à oublier l’aspect profondément engagé et politique de ce mouvement pour y insérer tout ce qui touche de près ou de loin à l’ordinateur. « Nous ne nous sommes jamais vraiment impliqués dans le terme “net.art”, qui semblait sacré dans un certain sens, estime Auriea Harvey, moitié du duo d’artistes Entropy8Zuper ! / Tale of Tales / Song of Songs. Nous étions bien plus heureux d’être des “artistes informatiques”, des “artistes multimédias” ou des “artistes du Web”. » Il faut dire qu’à la fin des années 1990, ils sont encore peu à utiliser la toile pour créer de l’art. 

Le net.art est mort, vive le post-internet !

Mais bientôt, le nouveau millénaire pointe le bout de son nez, apportant avec lui de nouvelles possibilités d’utilisation, tournées notamment autour de la communication (avec l’arrivée progressive des réseaux sociaux). Le net.art fait alors place au post-internet de l’artiste et curatrice Marisa Olson, un terme encore critiqué aujourd’hui car mal défini. Ou du moins, considéré lui aussi comme trop englobant. « L’expression post-internet est quelque chose que les gens continuent de citer, mais qui est pourtant constamment mal comprise et critiquée, détaille Marisa Olson. Certaines personnes ont paniqué, du genre : “Comment ça, Internet est mort ! ?” Et ma réponse a été : “Non, Internet n’est pas mort !” Bien que le World Wide Web soit définitivement en train de mourir, ce que cela signifiait en réalité, c’était une sorte d’après au sens de postmodernité, d’influence, comme lorsque les historiens de l’art décrivent un artiste comme travaillant “après Rembrandt” ou “après Degas”. Il s’agit d’être sous l’influence d’Internet. »

Une question se pose alors : l’art contemporain ne serait-il pas par essence post-internet ? « Quand je réfléchis à la signification de “post-internet”, je m’intéresse à la résonance sociale, politique et culturelle plus profonde, y compris à ce que nous avons négligé au début, résume Marisa Olson. On peut penser la temporalité du post-internet comme celle du postmodernisme. On peut dire que le modernisme n’a jamais vraiment pris fin en soi, mais après ces faits éclair de changements politiques, économiques et technologiques, vous ne pourrez plus jamais revenir en arrière. Il en va de même pour les effets de la culture web. » Une culture de web à l’origine contestataire qui, avec l’influence du Web3, se fond désormais dans les questions de marché. Au point que l’on se demande : la fin d’une ère se déroule-t-elle aujourd’hui sous nos yeux ?

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