Face aux théories complotistes d’Elon Musk, proche de Donald Trump, le futur semble aussi inquiétant que loufoque. Katja Novitskova et Hugo Laporte accentuent cette veine absurde, inventant l’Oracle Museum, un musée fictif où ils tournent en dérision les imaginaires dystopiques.
Que reste-t-il à imaginer de notre futur ? Depuis les années 1980, période où émerge le cyberpunk, jusqu’à aujourd’hui, rien de nouveau sous les palmiers – mêmes images d’une modernité abîmées : bâtiments encrassés, accaparement des richesses par une poignée de dominants, essor des technologies et contrôle de la population. À mesure que la fiction rejoint la réalité – et que notre présent ressemble à ce futur autrefois hypothétique -, les artistes sont moins tentés d’imaginer de nouveaux scénarios : à la place, ils naviguent à l’intérieur des artères déjà ouvertes par les pontes du genre, H.R. Giger, Katsushiro Ōtomo, ou encore Philip K. Dick pour ne citer qu’eux.
C’est bien dans ce créneau que s’ancre la pratique d’Hugo Laporte et de Katja Novitskova, qui inventent ensemble l’Oracle Museum au Carré d’Art, à l’occasion de la première édition des Contemporaines de Nîmes. Un musée dans le musée qui fait l’archéologie d’un futur délabré et peu rutilant : moteurs crasseux érigés en totem, cellules génétiquement modifiées, cabinet de curiosité où l’on collectionne des photos d’extraterrestres… Les deux donnent vie ici à une dystopie tantôt kitsh, tantôt sérieuse.
Génération Mad Max
L’espace d’exposition investi par Hugo Laporte et Katja Novistskova est lui aussi plus proche de la salle de rite que du laboratoire. Quel protocole va-t-il y être mené ? Serons-nous du côté des scientifiques ou des cobayes ? Au centre, une sculpture qui serait passée inaperçue dans le désert de Mad Max, appelle la dévotion du spectateur : Mirage prend en effet la forme d’un gros morceau de verre, amas de miroirs, de taules et de plastique, qui a une forme de cœur, de la robinetterie en guise de valve. L’astuce toute trouvée par Hugo Laporte, plasticien originaire de Nîmes, pour remixer des artefacts déjà ancrés dans l’imaginaire collectif afin de leur donner une traduction ésotéro-mécanique, poussant le matérialisme jusqu’au sacré.
Aux murs, des accrochages gravitent autour de cet objet et lui répondent. On remarque notamment les tablettes de l’Estonienne Katja Novitskova, qui crée la surprise en utilisant un support minéral dans ce contexte futuriste. Clairement, ses petits formats en pierre pourraient être comparés à des images de Lascaux, à ceci près qu’il ne s’agit pas de s’ébahir sur les prouesses picturales des premiers hommes, mais des derniers. Prenant tantôt la forme de schémas complotistes – des cercles et des flèches rouges codant des dessins de bâtiments -, tantôt celle de diagrammes alarmant – une courbe représente le taux d’extinction animale par an -, ces ardoises alimentent notre futurophobie plutôt que de la conjurer.
Milliardaire transgénique
Prêt à implanter des puces électroniques dans des cerveaux humains, Elon Musk est un fervent promoteur du transhumanisme – beaucoup moins de la transidentité. Melon Usk, lui, personnage inventé par Hugo Laporte, préfère le transracialisme, ce courant théorique consistant à se réclamer d’une autre identité ethnique que la sienne. Les traits de plus en plus épais, la peau de plus en plus foncée, son visage se transforme de portrait en portrait, le tout selon une esthétique héritée du retrogaming qui rend l’œuvre nettement plus légère.
À considérer comme un commentaire sur un fantasme de milliardaire tout-puissant, voire une réflexion sur une médecine qui excède sa fonction de guérison, cette nouvelle proposition, visible dans la deuxième salle de l’Oracle Museum, montre la fuite en avant de la science – volet nécessaire de toute dystopie qui se respecte. Katja Novistskova file le même thème de la modification génétique, envahissant la pièce de microbes anthropomorphiques. Quant au processus par lequel elle a généré ces avatars, celui-ci a à l’évidence de quoi alimenter de nombreuses théories complotistes, comme celles qui ont incriminés un laboratoire chinois d’avoir créé volontairement le coronavirus. Et pour cause, c’est en détournant via un algorithme la Protein Data Bank Bank (plateforme ouverte en ligne archivant des modèles scientifiques de protéines, d’enzymes et autres formes de virus) que l’artiste estonienne a pu créer ces monstres.
Entre art contemporain et numérique
Encore une fois, les artistes se font moins prophètes que continuateur d’une culture de la dystopie aux codes bien ancrés. Plus qu’un commentaire sur l’époque au moyen de l’anticipation, Oracle Museum est un propos sur la notion de dystopie elle-même. Crânes ovoïdes, corps phalliques, pierres précieuses de galaxies lointaines : à l’image de cette dernière œuvre d’Hugo Laporte, Echoes Of Sovereign, un atlas mural regroupant mille photographies de sculptures extraterrestres à l’esthétique digne d’Aliens, l’exposition oscille entre hommage et dérision, entre art contemporain et technologies numériques. L’équilibre est délicat, mais le duo parvient à le conserver avec talent, jusque dans son intention première : ne pas dissuader le spectateur d’avancer vers un avenir lugubre, mais encourager ses fantasmes et lui fait adorer le pire.
- Oracle Museum, Hugo Laporte et Katja Novitskova, jusqu’au 22.09.2024, Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes.