Dans la continuité des mosaïques romaines, du point de croix ou du pointillisme, le Pixel Art surgit dans les années 1970 avec l’arrivée de l’informatique dans les foyers. Aujourd’hui, sa pratique se manifeste sous plusieurs formes (peinture, collage ou numérique), et trouve un bel écho sur les réseaux sociaux, où les artistes s’épanouissent en totale harmonie.
Certains considèrent le Pixel Art comme un art neuf, émanant des nouvelles technologies et évoquant une nostalgie des débuts de la culture informatique et du jeu vidéo. Il n’en est rien. À bien y regarder, il s’inscrit dans la continuité des mosaïques romaines, du point de croix et du pointillisme. « Ma démarche repose symboliquement sur la prise de recul, par rapport aux écrans notamment, pour proposer de voir le monde différemment et approfondir notre réflexion », explique Ced Vernay, grand nom du Pixel Art hexagonal. L’homme, qui se dit plasticien avant tout, se détache en effet du numérique en articulant son travail autour de notions mathématiques, de distance, de capacités visuelles et de mémorisation de l’image.
En ce sens, son œuvre la plus marquante et la plus impressionnante à ce jour est sans conteste Points de Repère, présentée au Palais de la Bourse de Marseille en 2022. Investissant une surface de 360 m2, elle offre une relecture d’une photographie d’une journaliste présente sur le shooting de l’artiste Spencer Tunick, qui avait réuni au sein du Museum Kunst Palast de Düsseldorf des figurants nus avec l’objectif de rendre hommage aux peintres de la Renaissance ! Une œuvre profondément méta, en quelque sorte. Constituée de carrés de 20cm/20cm, elle offre en tout cas plusieurs niveaux de lecture : quand l’intérieur de l’œuvre dévoile des carrés, des signes, des formes ou des textes énigmatiques, des formes abstraites se distinguent dès lors que l’on observe la version de Ced Vernay à hauteur d’homme. Observée de haut, on constate même que celle-ci vire vers le figuratif. Ou comment interroger notre perception du monde avec de simples carrés décorrélés des écrans d’ordinateurs !
Retour au numérique !
Émergeant d’un phénomène numérique, le Pixel Art a très tôt investi le réel grâce à des artistes comme Ced Vernay ou Invader, mais d’autres, de plus en plus nombreux, le réinvestissent dans son milieu naturel, le digital. Et plus exactement les réseaux sociaux. À l’image d’Aleksey, Naym, MirruTatep ou encore Hugo Mauger, alias Haykira, qui travaille au quotidien en tant que designer de jeux vidéo. Dès que le temps le lui permet, il s’adonne toutefois à son autre passion, le Pixel Art : « J’utilise le logiciel Aseprite qui m’accompagne tous les jours. C’est un logiciel dédié au Pixel Art, mais il est également possible d’en faire sur tous les logiciels de retouche / créations utilisant pour base la manipulation d’images matricielles (MS Paint, GIMP, Photoshop, …). Une fois que le travail est considéré comme fini, je le poste sur mes réseaux sociaux, à savoir Instagram et Twitter ».
Ainsi, certains artistes s’affranchissent des galeries et des institutions. Leur démarche est d’autant plus pertinente que leurs créations sont 100% virtuelles, très fortement inspirées des jeux vidéo Flash datant du milieu des années 2000 : « J’ai passé beaucoup de temps à écumer ces sites de jeux gratuits, poursuit Haykira. Des jeux qui, à cette époque, étaient souvent conçus par des amateurs reprenant des sprites (dessin en pixel avec un fond transparent) de jeux produits par de gros studios. Graphiquement, on peut distinguer trois catégories de jeux Flash : ceux en dessin vectoriel, style de dessin proposé nativement par Adobe Flash, ceux en 3D et les derniers en Pixel Art ».
Avant l’heure des réseaux sociaux
Avant la domination des réseaux sociaux, Internet se révélait déjà être un lieu de rencontre idéal pour les pixels-artistes en quête de connaissance et de reconnaissance. Haykira, par exemple, y a trouvé sa voie : « J’ai creusé sur le net et j’ai découvert beaucoup de sites internet, dont Nitrome : un site de jeux Flash exclusivement faits en Pixel Art. Je suis tombé sous le charme. Il y avait aussi des forums, comme retropixel.fr, ou des galeries virtuelles, où se retrouvaient des pixels-artistes amateurs ou hobbyistes. Je me suis enfoncé dans cette jungle qui m’a donné des ailes et permis de fil en aiguille de monter ma propre entreprise. J’ai vite senti qu’il y avait une demande pour la création de sprites : des dessins pour des jeux vidéo (inspirés des classiques comme The Legend of Zelda: The Minish Cap ou Metal Slug) ». À croire que les réseaux sociaux, Instagram et X tout particulièrement inspirants en matière de Pixel Art, ne sont finalement que le prolongement des forums d’hier.
Mais le Pixel Art ne se résume pas à cette nostalgie des premiers jeux vidéo. Grâce aux réseaux sociaux, les artistes numériques dialoguent, s’inspirent mutuellement, et ouvrent la voie à des environnements rétro-futuristes abstraits et fascinants, à l’image des œuvres de Peter Burr, Kristen Roos ou LoVid qui réinvestissent les galeries, les espaces publics ou le. Web3 (dans une interview à Right Click Save, Empress Trash dit même que « la blockhain émancipe le pixel »), dans une démarche qui s’apparente à un va-et-vient permanent entre le réel et le virtuel, à une volonté d’explorer les possibilités de l’art numérique à partir d’un ensemble de données limitées et d’une esthétique visuelle, nostalgique certes, mais jamais vraiment ringardisée.