Que faut-il retenir du festival OVNi, haut-lieu de l’art vidéo ?

Que faut-il retenir du festival OVNi, haut-lieu de l'art vidéo ?
“Nicole Stéphane, a Displaced Person” ©Hélène Delprat

Cette année, le festival international OVNi fête ses dix ans et célèbre comme il se doit la vidéo sous toutes ses formes : documentaire, poétique, expérimentale, immersive, numérique, animée… En prime, la programmation met en valeur la vision d’artistes émergents via deux compétitions officielles : Le Prix Cosmopolis et le Prix OVNi Sud Emergence. Retour sur une édition anniversaire audacieuse ! 

Fondé en 2015 par Odile Redolfi, le festival OVNi a pris un nouvel élan depuis l’arrivée en 2022 de Nathalie Amae, directrice artistique, et Lili-Jeanne Benente, directrice de production et de scénographie. Anniversaire oblige, les trois associées ont concocté une programmation riche et diverse, suffisamment en tout cas pour que cette dixième édition reste gravée dans les annales. On tient pour les lauréats des deux compétitions mises sur pied. Présidé par Jean-Paul Felley, le jury du Prix Cosmopolis a en effet récompensé Tõnis Jürgens pour Sleep With Pointing : un choix logique, tant son installation coche toutes les cases d’une compétition visant à mettre en scène le format vidéo dans une des chambres de l’Hôtel West-End.

En intégrant dans son œuvre filmée le décor de la chambre où il expose, telle une mise en abyme lynchienne, le réalisateur estonien, né en 1989, est celui qui a su le mieux répondre au « cahier des charges » via une œuvre poétique, sensible, où le sommeil est abordé comme un intervalle semblable à cette bordure noire se situant entre deux images ou deux cadres d’un film. Quant au Prix OVNi Sud Emergence, présidé par Christine Van Assche, celui-ci a été décerné à Sacha Rey, dont l’installation évolutive But I’m a Cheerleader questionne les modalités relationnelles qui accroissent les discriminations et les violences systémiques au sein du secteur culturel, à Marseille. Deux œuvres plastiquement intéressantes, donc, aux démarches opposées, et pourtant animées par une même ambition : l’expérimentation des formes.

Vision floue d'un corps dans une pièce orangée où apparaissent en anglais cette question : Are you a boy or a girl ? No, are you ?".
But I’m a Cheerleader ©Sacha Rey

Fusionner l’art et les sciences

Il serait toutefois injuste de limiter le festival OVNi à ses diverses compétitions. Déployé dans toute la région de Nice, de la Villa Ephrussi de Rothschild, nichée à Saint-Jean-Cap-Ferrat, à La Citadelle de Villefranche-sur-Mer, en passant par le Musée national Marc Chagall, le Palais Lascaris, le Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, le 109 ou encore les hôtels Windsor et West-End, l’évènement se présente comme un véritable musée éphémère, entièrement dédié à l’art vidéo.

Pour sa dixième édition, OVNi s’est également installé pour la première fois au sein de la prestigieuse Fondation Marguerite et Aimé Maeght, située à Saint-Paul-de-Vence. La Fondation Louis Roederer & Le Fresnoy y étaient invités à dévoiler le lauréat de leur carte blanche « Art & Science » : un certain Alexandre Cornet, dont le film Saltation, extrêmement solaire, se présente au format carré, évoque l’esthétisme des vieux Polaroïds et traite de la décolonisation de l’Algérie à travers le récit intimiste et touchant de la famille de l’artiste.

Invitée d’honneur, la plasticienne et peintre française Hélène Delprat a pris, elle, possession du patio de la Villa Ephrussi de Rothschild, où elle présente, à l’occasion du 100ᵉ anniversaire de la naissance de Nicole de Rothschild (dite Nicole Stéphane), une installation inédite imaginée autour de son film, Nicole Stéphane, a Displaced Person, montée en 2018. Dans une chambre noire habillée de photographies et de textes, l’œuvre de la plasticienne et vidéaste française rassemble plusieurs vidéos soulignant la nature combattante, insoumise et résistante d’une femme elle aussi touche-à-tout (actrice, réalisatrice et productrice), née en 1924 ! 

Paysages naturels reproduits dans un univers vidéoludique.
Sous le ciel, 2024 ©Jérémy Griffaud

Le coup de cœur : Jérémy Griffaud

Cette année, le festival a tenu à soutenir tout particulièrement, et à raison, le travail de Jérémy Griffaud. Pour ce faire, Nathalie Amae lui a tout simplement réservé les espaces de la Grotte du Lazaret et du Musée national Marc Chagall, puis une chambre de l’Hôtel Windsor. Mêlant peinture et vidéo, ce grand aquarelliste niçois explore en ces lieux la question du spectateur dans des réalités hybrides, à travers des dispositifs mêlant virtuel et réel. Dans son installation immersive et multimédia, Sous le ciel, Jérémy Griffaud y aborde les thèmes particulièrement « en vogue » de la biodiversité et de l’hybridation du vivant, selon une approche poétique somme toute singulière au sein du champ de la VR et un travail sur la couleur évoquant celui de l’auteur de bande dessinée Brecht Evens ou du maître Chagall, dont la célèbre série Message Biblique constitue ici une influence revendiquée.

« Le discours de Jérémy Griffaud est philosophique mais soutenu par une spiritualité qui justifie sa présence en ces murs », précise Nathalie Amae. Dans la Grotte du Lazaret, le plasticien a fait évoluer une partie de son jeu vidéo, The Garden, en projection vidéo. Cette séquence, dont l’action se situe à la montagne, prend dans cet environnement rocailleux tout son sens. Elle traite de l’évolution de l’humanité au gré de ses innovations scientifiques, et ainsi de notre éthique de l’artificialisation de la vie et de notre conception productiviste. Pourtant hostiles, ces environnements verticaux, faussement bucoliques, comme façonnés avec du papier, invitent à la contemplation !

Un homme armé seul au milieu d'un village constitué de bâtiments d'architecture soviétique abandonnés, avec les montagnes en arrière-plan.
Pyramiden ©Damien Faure

L’influence du jeu vidéo

Jérémy Griffaud n’est pas le seul à explorer l’univers du jeu vidéo, bien au contraire. « Autant comme sujet que médium, c’est la tendance, depuis quelques années déjà. Je ne peux donc vraisemblablement pas parler d’art vidéo sans parler de jeu vidéo », s’excuse presque Nathalie Amae, tout en étant à l’évidence ravie de défendre des artistes qui parviennent aujourd’hui encore à s’emparer du sujet avec originalité, en inversant par exemple le chemin de la réalité vers la virtualité. Dans l’extrait de son film Pyramiden, qui sortira en salle le 1 janvier 2025, Damien Faure met par exemple en scène Harald, un personnage énigmatique évoluant dans cette cité constituée de bâtiments d’architecture soviétique, mais aujourd’hui abandonnés. Et pour cause, elle se situe sur le territoire du Svalbard, comme échoué au beau milieu de l’Arctique ! Cet homme y évolue armé, dans un ballet plastique hypnotisant, perturbant, qui évoque l’atmosphère des jeux de tir à la première personne.

Dans un univers vidéoludique, des écrans défilent et flottent au milieu d'un monde virtuel.
Atmosphères simulées ©Justine Emard/Damien Baïs

Le jeu vidéo, on le retrouve plus loin, au 109, dans Hypermnemosyne, Elsewhere In The Flow of Images, une exposition vidéo immersive, labyrinthique et monumentale. Entièrement réalisé par Pierre Giner, ce parcours, jalonné de jeux vidéo, plonge le visiteur dans une surenchère d’images tournées au Japon, à l’aide de téléphones portables et de caméras de poche, pour en révéler la culture et l’effervescence. Conçue comme un Média Mix Project lié à un programme de diffusion aléatoire de séquences vidéo montées en temps réel et ne se répétant jamais, Hypermnemosyne se révèle au fil de la déambulation être une « histoire sans fin », dans laquelle le visiteur se perd volontiers, comme un touriste aventureux pourrait le faire dans une mégapole extrême-orientale !

Justine Emard et Damien Baïs prolongent cette expérience avec Atmosphères simulées, un workshop, présent aussi en ligne, développé à destination des étudiants d’écoles d’art. Une œuvre aux velléités éducatives, donc, qui entend permettre aux nouvelles générations de mettre la main dans le cambouis et de se familiariser avec l’imaginaire du « game » à travers la notion de paysage, d’environnement et de captation du réel. 

Tout ceci ne constitue qu’un léger aperçu des nombreuses propositions vidéo mises en lumière par le festival, qui a accueilli depuis sa création plus de 1 000 artistes, diffusé plus de 1 300 œuvres dans plus de 30 lieux et visé sans cesse à se réinventer, dans l’idée de faire corps avec un art lui-même mouvant ! Au moment de donner rendez-vous en 2026, les trois têtes-pensantes de l’évènement annoncent d’ailleurs fièrement l’ultime métamorphose d’OVNi, désormais organisé sous une nouvelle forme : Biennale !

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