Depuis 2018, Justine Vilgrain et Patricia Gloum œuvrent à évangéliser l’art numérique à travers de la curation sur Instagram, des expositions et un travail de vulgarisation auprès des marques et des institutions, certaines de pouvoir bousculer le monde de la publicité au contact d’artistes soucieux de créer de l’art génératif, de mettre au point du maquillage augmenté ou de conceptualiser la mode digitale. Rencontre.
Comment est né le studio Braw Haus ?
Justine Vilgrain : Je suis à moitié grecque, de même que Patricia Gloum (la directrice artistique de Braw Haus, ndlr). Nos familles avaient une maison sur Antiparos et l’on a fini par se rencontrer un été. J’étais plus jeune, Patricia faisait partie des cool kids d’un groupe et je squattais leurs échanges. On s’est croisées à nouveau des années plus tard à Union Square, le Châtelet new-yorkais. Patricia voulait créer un groupe de femmes artistes spécialisées dans le numérique. Quant à moi, je voulais changer le monde traditionnel de la pub.
Au fond, on voulait surtout trouver un moyen de mettre en valeur les arts numériques, qui étaient complètement sous-estimés : bien des artistes numériques se considéraient comme des motion designers ou des animateurs 3D, pas comme des artistes… Depuis 2018, on alimente notre compte Instagram de présentations d’artistes numériques dans l’idée de démocratiser ce courant. Puis, aux côtés de ces mêmes artistes, on a commencé à bosser pour des marques avec des projets de 3D, de CGI ou de vidéo mapping. On réalisait des clips vidéo avec des artistes que l’on rémunérait en vendant les clips en NFT. C’est via une campagne autour de vêtements en 3D, pour Nike et le PSG, que l’aventure Braw Haus a vraiment décollé.
Et aujourd’hui, qu’en est-il ?
JV : Aujourd’hui, nos activités se partagent entre de la création avec les marques, la représentation d’artistes, mais aussi l’organisation d’expositions (en 2021, par exemple, le duo a présenté une impressionnante exposition et festival à l’EP7 à Paris, réunissant une vingtaine d’artistes numériques, comme Inès Alpha, Dirk Koy ou Danaë Gosset, ndr).
Sur la création, vous avez beaucoup travaillé avec des marques de mode ou de beauté. Comment expliquer l’intérêt du secteur pour les arts numériques ? Est-ce dans l’idée d’explorer de nouveaux champs, peut-être même de nouvelles esthétiques ?
JV : Je crois qu’il y a plusieurs facteurs. Pour les besoins d’une campagne réalisée pour Shiseido, par exemple, nous sommes allées chercher l’artiste contemporaine et numérique Kaoru Tanaka, spécialisée en art génératif, ce qui est extrêmement rare dans le cadre des campagnes. Dans un second temps, il y a aussi la dimension qu’apporte la simulation. On sort en ce moment un projet sur Sandbox qui encourage les marques de mode à produire leurs vêtements d’abord en numérique pour que les influenceurs, ou les potentiels acheteurs, puissent les essayer et jouer avec sur Sandbox. Ainsi, si l’intérêt est là, les marques peuvent passer à la production dans un deuxième temps.
Pour le dire autrement, le numérique permet d’explorer de nouveaux angles et de nouvelles approches sans trop de dommage. Sur un autre projet avec Kenzo, on avait prévu de représenter le Mont Fuji. Il s’est avéré que l’on n’avait pas le droit. Si on avait shooté la campagne, on aurait dû la reprendre en photo.
Tu as aussi cofondé la NFT Factory à Paris. Trois ans après le gros boom des NFTs, quel regard portes-tu sur la situation actuelle, plus régulée, mais peut-être plus fragile aussi ?
JV : Avec Braw Haus, on s’est intéressé aux NFTs avant 2022, notamment grâce au CADAF (la foire d’art digital) auquel on a participé. Ma mère travaille dans l’art contemporain et lorsque le NFT a émergé dans ce milieu, je lui ai expliqué l’intérêt. Notamment pour le suivi d’authenticité des œuvres artistiques. L’art numérique, ça fait des années que ça se vend en galerie. Un des grands problèmes était néanmoins la traçabilité de ces œuvres-là. Avec la blockchain, c’est beaucoup plus stable : on sait exactement qui est l’émetteur et qui est l’acheteur. Et, comme vous le savez très bien chez Fisheye Immersive, cette technologie est un sacré atout à l’heure où l’on peut utiliser des IA pour reproduire à l’identique des œuvres d’un artiste et les vendre comme telles.
Le mouvement PFP (Profile pictures) a énormément monopolisé le discours sur les NFTs dans l’art. C’est dommage… Ce qui est mort, complètement dépassé, c’est cette tendance des communautés à partir d’images de profils de pingouins ou de singes, mais l’intérêt du NFT dans l’art, certainement pas. Les groupes Discord de collectionneurs sont toujours aussi actifs. Alors, certes, on a observé une baisse d’intérêt, mais c’est surtout le fait de gens qui souhaitaient spéculer et faire de l’argent dessus. Les passionnés sont toujours là.
Penses-tu qu’il y a un gros malentendu quant aux NFTs et à l’art ?
JV : Oui, je crois bien. On confond ce que l’on appelle les collectibles (les Cryptopunks, Bored Apes, etc), les communautés qui s’y adjoignent, et l’art numérique pour qui le NFT est un support. En revanche, il faut rappeler la puissance d’accessibilité du Web3 qui permet à beaucoup de gens, très jeunes, d’acquérir – à faible coût aussi – des œuvres numériques. Ce qui induit d’office une plus grande proximité entre l’artiste et le collectionneur.
Notre idée est de mettre l’art dans la rue. Par exemple, lors de l’exposition l’EP7, les œuvres étaient visibles sur les façades. Il y a quelques semaines, un de nos artistes a été exposé sur les écrans de Time Square. Et en ce moment, on travaille avec un autre artiste dont on retrouve le travail plutôt dans les foires et les galeries sur le Dôme de Las Vegas.
Sur le plan personnel, qu’est-ce qui te fascine le plus aujourd’hui ?
JV : Je l’ai dit plus tôt, je suis fascinée par la puissance de la blockchain et de ses capacités de création. Mais surtout, je suis assez excitée de voir à quel point les artistes numériques évoluent dans leur création et leurs manières de faire en investissant différemment les espaces, en favorisant l’interaction avec les publics. Là, par exemple, j’ai imaginé un concept d’art génératif ; ce serait un bracelet connecté à la musique. Le corps est investi et s’immerge dans la sensation par le son grâce à la technologie. C’est hyper intéressant. Toutes ces émergences (artistiques, ndlr), c’est excitant, non ?