« Univers programmés » : l’art numérique dans tous ses éclats

« Univers programmés » : l’art numérique dans tous ses éclats
Adrien M & Claire B, “Core”, 2020 ©Lionel Rault

Première partie d’une double exposition autour de l’art numérique, Univers programmés frappe par la richesse de sa proposition et la qualité de l’échange instauré entre les œuvres du passé, en grande partie issue de la collection du macLYON, et celles d’une scène contemporaine biberonnée aux outils informatiques.

D’emblée, les références à Blade Runner, Matrix ou Ghost In The Shell sont assumées. L’instant d’après, les mots sont lâchés par Matthieu Lelièvre, commissaire de l’exposition Univers programmés : « Il s’agit là d’un évènement où l’innovation sert à questionner le réel, où des œuvres historiques et contemporaines enrichissent les liens unissant ou séparant l’art et la technologie. » On pourrait se dire que cette évidence est un peu courte, insuffisante intellectuellement : en 1963, un jeune technicien du MIT, Ebram Arazi, ne faisait-il pas déjà la Une du magazine Computers and Automation grâce à une œuvre qualifiée de « surréalisme électronique » par les éditeurs de la revue ?  Mais sans doute faut-il beaucoup de qualités pour atteindre cette simplicité fluide qui contraste avec nombre d’expositions historiques, souvent trop discursives ou obnubilées par l’envie de satisfaire tout le monde.

Au macLYON, l’équipe n’a heureusement pas cherché à faire dans l’exhaustivité. « Il n’y a pas de NFT ou de réalité augmentée », répète à plusieurs reprises Matthieu Lelièvre, dont l’intelligence est de témoigner d’un désintérêt spectaculaire pour le spectaculaire. « L’intérêt des œuvres présentées est finalement moins sur les technologies que sur l’acte de création ». En résulte donc une exposition à la fois généreuse et intelligemment scénographiée, qui ne s’interdit rien, navigue gracieusement entre les genres (l’art contemporain, la photographie, l’art vidéo, l’IA, etc.), exorcise le monde d’hier pour réinvestir le présent et produit un sentiment très réjouissant : la persistance d’un regard neuf.

Machine robotique équipée d'une télé sur laquelle est projetée un film de vacances.
KOLKOZ, Film de vacances, Hong Kong, 2016

Une histoire de premières fois

Il y a en effet, dans Univers programmés, suffisamment de dialogues entre le passé et le contemporain pour comprendre qu’une même obsession anime les artistes à travers les époques : détourner les outils numériques afin de les mettre au service d’une réflexion (philosophique, scientifique, sociale, etc.) et d’œuvres qui, quoique bien souvent interactives, sont régulièrement privées de bouton – à l’image d’Intro-Act (1995) de Christa Sommerer et Laurent Mignonneau, où l’immersion dans un écran se fait via des gestes et des mouvements. De par sa dimension historique, rendue possible en grande partie grâce à la collection du macLYON, l’institution ayant exploré l’impact des nouvelles technologies dans l’art contemporain dès 1995, l’exposition contient évidemment son lot de premières fois.

Avec Lyon (1986), Gottfried Honegger introduit la notion d’aléatoire et est ainsi l’un des premiers artistes en France à avoir recours à l’informatique pour une série de dessins programmés via ordinateur. Avec The Legible City (1988-1991), Jeffrey Shaw et Dirk Groenveld ont la bonne idée de fixer un vélo face à un écran et développent une installation où, de manière alors inédite, le mouvement interfère directement avec l’œuvre. Quant à Nam June Paik, omniprésent au sein de l’exposition avec pas moins de sept œuvres, chacune de ses propositions est basée sur le détournement de la technologie comme principe d’interaction, et témoigne d’une époque où les artistes étaient contraints d’entamer d’étroites collaborations avec les ingénieurs pour avoir accès à ces différentes innovations.

Six photographies exposées sur un mur dont l'aspect se confond avec le contenu des photos : une femme le dos nu, sur une plage paradisiaque.
Constant Dullaart, Jennifer in Paradise, 2013 ©Antonio Maniscalco, Adagp, Paris, 2025

Réinvestir l’informatique

Victimes du temps qui passe, la plupart des technologies utilisées ici par Nam June Paik, Jan Kopp, Laurent Mulot ou encore Christian Sommerer et Laurent Mignonneau sont désormais standards, voire même obsolètes. Cela n’empêche Univers programmés de revêtir un double intérêt. Un : lutter pour la préservation d’œuvres essentielles à l’histoire de l’art numérique. Deux : mettre en avant des artistes contemporains à même de se réapproprier ces multiples innovations.

Avec Cartridge Recollection (2023), Quentin Lannes transforme ainsi l’archéologie technologique – ici, la Game Boy Camera, intégrée à certaines consoles dès 1998 – en un médium artistique, tandis que Jennifer In Paradise (2013) voit Constant Dullaart mettre en scène la première photographie analogique de l’histoire importée dans Photoshop. Réalisée en 1987 par le cocréateur du logiciel, celle-ci montrait la petite amie de ce dernier sur une plage de Bora Bora, et n’avait d’autre but que de faire la promotion du programme informatique. Entre les mains de l’artiste néerlandais, le cliché devient une réflexion sur la démocratisation d’un geste désormais symptomatique de l’activité humaine (le fameux copier-coller), portant presque à lui seul les promesses d’une culture numérique initialement pensée comme l’incarnation du libre-échange.

Une jeune femme métisse assise sur ses genoux en train de se servir d'un clavier en forme de tapisserie face à un écran informatique.
Diane Cescutti, Nosukaay, 2022 ©Tom Mesic, Adagp, 2025

D’autres artistes prolongent les mêmes échanges. De Nature morte 7 (2022) de Baron Lanteigne, qui s’appuie sur l’esthétique futuriste des jeux vidéo des années 1990 pour se moquer de cette glorification outrancière de la technologie, à Nosukaay (2022) de Diane Cescutti, qui remet de l’humain à l’intérieur du système informatique via une installation où se croisent jeux vidéo, ordinateur et savoir-faire tisserand, en passant par Films de vacances (2016) du duo Kolkoz, qui détourne les images-souvenirs réalisées avec une caméra classique en les remaniant dans un logiciel de synthèse afin de réfléchir à l’artificialité inhérente au concept de vacances rêvées.

Impossible de citer toutes les propositions qui ont capté l’attention… L’exposition, qui a réuni près de 5 000 visiteurs lors de son vernissage, est trop dense et foisonnante pour être pleinement résumée ici. On pourrait, c’est certain, évoquer les travaux d’Oliver Laric, Justine Emard, Adrien M & Claire B, Cory Arcangel, Thibault Brunet ou Brodbeck & de Barbuat, dont les œuvres montrées sont plus ou moins récentes. Mais l’essentiel est ailleurs : il est dans cette exposition qui refuse l’idée d’une quelconque uniformité esthétique, et rappelle le rôle premier d’un musée. Non pas d’être un lieu de vérité, mais d’être la caisse de résonance de plusieurs récits, de différents regards, et d’une histoire en perpétuelle évolution, qui ne demande qu’à rencontrer son public.

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