Adrien M & Claire B : à la vie à l’amour

Adrien M & Claire B : à la vie à l’amour
“En amour” ©Adrien M & Claire B

Jusqu’au 25 août, Adrien M & Claire B investissent la Cité de la Musique avec En amour, une expérience immersive et interactive qui porte haut le mélange des genres (spectacle vivant, performance, installation) et promet d’être un « antidote face à la peur de l’autre et la déconstruction du lien social ». Verdict ?

Contrairement à bon nombre d’artistes, Adrien M & Claire B ont ceci de particulier qu’ils aiment les habitudes. Le temps nécessaire à la réflexion, à la conception et à la mise en œuvre de chacun de leur projet ? « Environ deux ans ». Le processus de création ? « Systématiquement effectué auprès des mêmes équipes, essentiellement des membres de notre compagnie avec lesquels nous travaillons depuis de nombreuses années ». Le résultat ? Perpétuellement minimaliste, symptomatique d’un duo qui aime plus que tout « mettre les outils technologiques au service d’une expérience ».

On ne s’étonne donc pas d’apprendre qu’une des séries développées par Adrien M & Claire B se nomme Rituels, et se caractérise par l’envie d’inventer de nouvelles façons d’être ensemble, de créer des espaces poétiques. C’était déjà le cas avec Faire corps (2020) et Dernière minute (2022), une installation immersive née du besoin intime de raconter la perte d’un être cher. Ça l’est de nouveau avec En amour, qui prolonge avec grâce ce que le duo ne cesse de marteler ces dernières années : « On vient du spectacle vivant et on tient à rappeler à chaque pièce à quel point notre rapport aux technologies est avant tout celui d’hommes et de femmes de théâtre utilisant ces outils de manière artisanale, dans le but de créer des espaces symboliques, qualifiés d’immersifs faute de mieux, mais voués à être différents à chaque fois, un peu comme dans le spectacle vivant. »

En amour ©Adrien M & Claire B

Flirter avec l’intime

Depuis Dernière minute, Adrien M & Claire B semblent avoir noué un lien fécond avec une nouvelle forme de rituel : l’autofiction, la mise en scène de soi. Sans pour autant flirter avec l’impudeur : En amour, par exemple, décline le sentiment amoureux en d’infinies variations poétiques, toutes sous-tendues par l’émergence de divers aléas, tels que les premiers émois, l’impossibilité de l’amour, la bromance, la puissance d’un amour familial ou la beauté d’un couple qui ressoude ses liens. L’expérience – un terme qui prend ici tout son sens – touche ainsi au sublime, dans des moments d’une douceur folle, qui encapsulent le sentiment amoureux dans ce qu’il peut avoir de plus frissonnant, d’irrationnel, dans son inspiration au partage, à la jouissance pure, qui se heurte parfois au poids du temps et de son usure.

Pour encourager cette immersion de quarante minutes, Adrien M & Claire B s’appuient pour la première fois sur des mots afin de « favoriser une douceur, l’incarner, lui donner un mouvement, comme pour rappeler que, contrairement à ce que pourrait laisser penser la présence d’outils numériques, l’on recherche avant tout une forme de caresse ». Une caresse. Le mot est évidemment bien choisi, et fait écho à ces toiles disposées à travers l’espace, qu’il est possible de toucher, comme pour jouer avec la lumière, en capter l’énergie, ressentir autrement ces réflexions narrées par Claire Bardainne en personne. Florilège : « C’est fini. Le dernier jour, c’était une nuit et l’on s’est dit, voilà, c’est fini. C’était une nuit d’été » ; « Je ne suis plus amoureuse de toi, je suis amoureuse tout court » ; « Tu ne réchaufferas plus mes pieds froids, mais je sens le soleil, il embrasse mes cils ».

En amour ©Adrien M & Claire B

La mélodie d’amour

Outre les mots, qui accentuent la dramaturgie de la pièce, En amour peut également compter sur les mélodies de Laurent Bardainne (cousin de), appelé il y a un an et demi pour mettre en son une musique très organique, suffisamment rêveuse pour favoriser l’éclosion de ce que l’on serait tenté de définir comme des instants suspendus.

Parfaitement en phase avec l’atmosphère, bienfaitrice, contemplative, suggérée par les nouvelles technologies (les vidéoprojecteurs, les ordinateurs, le logiciel eMotion, spécialement conçu par Adrien Mondot, et même l’IA), la composition de Laurent Bardainne (et les chœurs de November Ultra) aide indéniablement à s’immerger dans cette histoire d’amours qui vieillissent, se souviennent, se séparent, se retrouvent et semblent toujours portés par le même élan poétique, à la recherche d’inédits, animés par une nostalgie finalement moins plombante que romantique.

Composé à l’aide d’instruments essentiellement acoustiques, la BO oscille ainsi entre les grandes envolées et les mélodies de peu, entre les belles orchestrations et le minimalisme, selon un va-et-vient qui favorise le mouvement, l’immersion. Quitte, parfois, à accélérer le tempo, à faire résonner davantage les percussions et les nappes de synthés afin d’accentuer l’emphase, appuyer l’idée d’une renaissance, d’un amour qui se régénère.

En amour ©Adrien M & Claire B

Après quarante minutes, une sensation bien connue se fait sentir : celle de ces fins de soirée, en boite de nuit, lorsque les lumières se rallument et que l’on s’apprête à affronter de nouveau la lumière du jour naissant, l’esprit embué, songeur, fier d’avoir expérimenté tant d’émotions, d’avoir étiré le temps, d’avoir vécu une expérience fédératrice, collégiale. « C’est notre façon à nous de prouver que l’amour comme sujet de bien-être collectif n’a rien de new age, conclut Claire Bardainne. C’est aussi un sujet politique ».

  • En amour, Adrien M & Claire, jusqu’au 25 août 2024, La Cité de la Musique, Paris
À lire aussi
Adrien M & Claire B. : la machine au service de l’humain
Portrait d’Adrien M & Claire B. ©Romain Etienne
Adrien M & Claire B. : la machine au service de l’humain
Jongleur hors pair, Adrien Mondot vient de l’informatique, la scénographe Claire Bardainne du design graphique. Leurs routes se croisent…
24 juillet 2023   •  
Écrit par Benoit Gaboriaud
Théâtre 2.0 : quand le spectacle vivant se frotte aux technologies XR
“No Reality Now” ©Marc Domage
Théâtre 2.0 : quand le spectacle vivant se frotte aux technologies XR
En plus d’offrir un terrain fertile pour des expériences artistiques originales, l’hybridation actuelle du spectacle vivant et des…
03 janvier 2024   •  
Écrit par Maxence Grugier
Du théâtre à la VR : la pièce Rothko rebat les cartes du monde de l’art
“Rothko” ©Anka Herbut et Łukasz Twarkowski
Du théâtre à la VR : la pièce Rothko rebat les cartes du monde de l’art
Inspiré de l’un des grands scandales du monde de l’art, la pièce d’Anka Herbut et Łukasz Twarkowski déroule la vie de Mark Rothko pour…
31 janvier 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Explorez
À Montréal, la Biennale internationale d'art numérique simule le réel (et c'est merveilleux !)
“Retro”, de Nicolas Baier ©Gridspace courtoisie de ELEKTRA
À Montréal, la Biennale internationale d’art numérique simule le réel (et c’est merveilleux !)
À Montréal, la Biennale d’art numérique, pilotée par ELEKTRA, dont on fête cette année le 25ème anniversaire, se présente comme un...
28 juin 2024   •  
Écrit par Maxime Delcourt
À Metz, le festival Constellations tutoie les étoiles
“Black Out In Variations” ©Constellations/Philippe Gisselbrecht/Ville de Metz
À Metz, le festival Constellations tutoie les étoiles
Jusqu'au 31 août 2024, Metz vit la nuit, éclairée seulement à la lumière des œuvres d'art programmées par le festival Constellations...
26 juin 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Mirabil-IA : Et si l’intelligence artificielle permettait de mieux regarder le monde réel ?
“Sediment Nodes” ©Sofia Crespo & Feileacan K McCormick
Mirabil-IA : Et si l’intelligence artificielle permettait de mieux regarder le monde réel ?
Pour contrer cette idée consistant à penser que l’IA restreindrait la part de créativité des artistes...
18 juin 2024   •  
Écrit par Benoit Gaboriaud
Broken Spectre : la déforestation vue par Richard Mosse
“Broken Spectre”, Centre PHI, 2024 ©Julien Grimard
Broken Spectre : la déforestation vue par Richard Mosse
À travers des images viscérales - tantôt contemplatives, tantôt terrifiantes - et des procédés technologiques dont il a fait sa...
03 juin 2024   •  
Écrit par Adrien Cornelissen
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Irénée Régnauld : "Le spatial, c’est un cimetière de promesses non tenues"
“If The Moon Were Only 1 Pixel”
Irénée Régnauld : « Le spatial, c’est un cimetière de promesses non tenues »
Respectivement chercheur et sociologue, Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin se sont lancés dans une vaste enquête de la conquête...
25 juillet 2024   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Comment créer une exposition immersive autour de l’espace ? Spectre Lab répond
“Destination Cosmos”, Bassins des lumières ©Spectre Lab
Comment créer une exposition immersive autour de l’espace ? Spectre Lab répond
Aux côtés de ses trois associés, Jérôme Sérane est depuis 2014 le directeur artistique de Spectre Lab, un studio créatif passé maître...
24 juillet 2024   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Allô ! La Terre : quand l'art numérique fait le plein d'espace
“Sea Of Tranquility” ©Unfold
Allô ! La Terre : quand l’art numérique fait le plein d’espace
Orbitant autour de la thématique spatiale, de nombreux artistes issus du numérique s'inspirent du cosmos et de son univers foisonnant...
23 juillet 2024   •  
Écrit par Maxime Delcourt
L'œuvre du jour : "Fighters", de Quayola
“Fighters”, 2024 ©Quayola
L’œuvre du jour : « Fighters », de Quayola
Inspiré par les sculptures inachevées de Michel-Ange, l’artiste multimédia italien Quayola s’associe au compositeur électronique Max...
22 juillet 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard